L'exposition David Bowie Is a attiré 311 000 visiteurs au musée Victoria & Albert de Londres avant de s'installer à Toronto, mercredi. Victoria Broackes, commissaire de l'expo, a répondu à nos questions.

Q : D'où vous est venue l'idée d'une exposition sur David Bowie?

R : David Bowie était tout en haut d'une très courte liste de personnes auxquelles on pensait pouvoir consacrer une exposition complète. C'est un visionnaire qui a compris l'importance du visuel. Son influence sur la musique, la mode, la photographie, l'art graphique et le cinéma touche chacune des sections de notre musée. Quelqu'un nous a présenté l'imprésario de Bowie, et c'est comme ça qu'on a appris qu'il avait des archives remarquables couvrant toute sa vie.

Q : Peu d'artistes ont collectionné autant de matériel sur plus de 40 ans. Qu'est-ce que ça vous dit au sujet de la personnalité de Bowie?

RC'est la question à laquelle je n'ai pas de réponse... mais j'ai quelques théories contradictoires. D'abord, Bowie était conscient d'être un artiste depuis son tout jeune âge. Il s'imaginait qu'il serait célèbre et il a peut-être senti que ces objets étaient importants parce qu'il serait perçu un jour comme quelqu'un d'important. Pourtant, à l'époque, les pop stars, même si je ne qualifierais pas Bowie de pop star, avaient peu de chances de durer plus de trois ou quatre ans, donc c'est improbable qu'il ait pensé que son travail deviendrait aussi important. Par contre, peut-être ne le savez-vous pas, mais son album Lodger a failli s'intituler Planned Accidents. Je crois qu'il voit vraiment sa carrière comme une série d'accidents planifiés et qu'il est possible que le fait de conserver ces objets plutôt que de s'en débarrasser en était justement un.

Q : Bowie a mis ses archives à votre disposition, mais a-t-il collaboré autrement avec vous? On sait qu'il a eu droit à une visite privée de l'expo... Avez-vous pu en discuter avec lui?

R : Non. Quand on sait comment Bowie contrôle étroitement chaque aspect de ce qu'il produit, l'idée même d'une collaboration aurait été extrêmement délicate pour un musée comme le nôtre. C'est comme s'il nous avait dit: «Vous pouvez prendre ce que vous voulez dans mes archives, mais c'est votre histoire, celle du musée Victoria&Albert, pas l'histoire de David Bowie sur David Bowie.»

Q : Serait-ce parce qu'il respecte l'autonomie des autres créateurs dans leur domaine respectif d'activités?

R : Jonathan Barnbrook, le concepteur graphique qui a collaboré à l'expo et qui travaillait à notre insu à la pochette de The Next Day, dit que Bowie respecte la créativité des autres et leur façon de travailler, même si, bien sûr, il a une idée très claire de ce qu'il veut. Je pense que Bowie aime beaucoup l'idée que tout art est instable, que dès qu'il quitte l'artiste pour arriver au consommateur, c'est à la personne qui le reçoit de se faire sa propre idée.

Q : Quelle a été votre réaction quand vous avez appris que Bowie lancerait un nouvel album, The Next Day, à quelques semaines de l'ouverture de l'exposition que vous prépariez depuis trois ans?

R : Avec le recul, le plus difficile pour moi, c'est que je pensais que le moment était idéal pour monter cette expo, parce que Bowie s'était éclipsé pendant environ 10 ans. Les gens étaient de plus en plus intrigués par lui. D'ailleurs, quand il a lancé son album, ç'a eu un impact phénoménal dont on va parler pendant de nombreuses années. Heureusement, l'exposition n'est pas du tout une rétrospective de sa carrière. Au départ, on avait décidé qu'on ne ferait pas une exposition chronologique, mais qu'on poserait sur Bowie un regard thématique. L'oeuvre de Bowie, ce n'est pas seulement une succession d'objets, mais un tourbillon d'idées. Il signifie différentes choses pour différentes personnes. Et nous ne répondons pas à cette question. David Bowie est suspendu en l'air et chacun peut y répondre de la façon dont il l'entend.

Q : Vous avez ajouté à la dernière minute des éléments de The Next Day?

R : Non seulement Jonathan Barnbrook avait-il la pochette de The Next Day, mais il avait également toutes les autres pochettes des albums de Bowie, pas seulement celle de Heroes, qui ont été retravaillées puis rejetées pour The Next Day. Elles font partie de l'expo, comme le vidéoclip de The Stars Are Out Tonight et les marionnettes du clip Where Are We Now que Tony Oursler avait créées pour les célébrations du 50e anniversaire de Bowie. Quand la cargaison est arrivée à Londres, juste après Noël, les marionnettes ne s'y trouvaient pas. On a tout compris quand on a vu le clip de Where Are We Now.



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L'exposition David Bowie Is, au Musée des beaux-arts de l'Ontario (AGO), à Toronto, du 25 septembre au 27 novembre.



Le catalogue de l'exposition

Pourquoi le Victoria & Albert Museum de Londres, un musée d'art, de design et de performance, a-t-il conçu une exposition sur David Bowie? La réponse se trouve dans ce beau livre riche en photos, magnifiques, et en documents de toutes sortes (paroles de chansons, storyboards de vidéoclips, autoportrait, etc.) témoins de la carrière unique de David Bowie. De tout temps, ce dandy «pour qui le déguisement est une forme d'art» s'est intéressé à toutes les disciplines artistiques, pigeant à gauche et à droite la matière brute qu'il allait transformer pour la rendre accessible à un public plus vaste. C'est Bowie lui-même qui reconnaît que si son premier album, paru le même jour que le Sgt. Pepper's des Beatles en 1967, avait connu le succès, il aurait «très bien pu passer à côté d'une quantité d'influences». Geoffrey Marsh, directeur de la section Theatre and Performance du musée britannique, raconte le parcours de l'artiste, depuis l'adolescent solitaire coincé dans une banlieue aseptisée de Londres jusqu'au monstre sacré connu à l'échelle planétaire. D'autres experts à sa suite prennent la plume pour témoigner de l'impact de ce caméléon aussi bien sur la musique que le vidéoclip, la mode, le cinéma, l'art graphique et la société elle-même. Mais au-delà des analyses savantes - «Il agit comme un paratonnerre pour toutes les interrogations théoriques du moment», affirme l'écrivain Christopher Frayling -, c'est la richesse de l'univers visuel de Bowie qui impressionne et donne encore plus envie d'aller visiter cette expo à Toronto.

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DAVID BOWIE IS. Catalogue de l'exposition. Geoffrey Marsh et Victoria Broackes. Éditions Michel Lafon. 320 pages.