Photographier les guerres, leur litanie de souffrances et d'horreurs relève-t-il du sensationnel, du voyeurisme, de la volonté de témoigner pour l'Histoire? Des géants du reportage en ont débattu lors du festival Visa pour l'Image, grand rendez-vous mondial du photojournalisme à Perpignan, dans le sud-est de la France.

« Quand on part à la guerre pour la première fois, on a surtout envie de pouvoir impressionner le monde de la photo », confie Don McCullin, 77 ans, qui a couvert pratiquement tous les conflits, du Biafra au Vietnam jusqu'aux guerres du Moyen-Orient en passant par l'Afrique et l'Amérique latine.

Lors d'une table ronde, le photographe britannique avoue avoir toujours ressenti une « honte » à se trouver dans les théâtres d'opérations face à des victimes convaincues que le photographe « peut leur sauver la vie, comme lorsque j'étais face à un homme qui allait être exécuté et qui me regardait ».

« On ne peut pas rendre la guerre romantique », explique-t-il, tout en estimant qu'il faut « savoir partager avec compassion la dignité des victimes ».

Pour l'Américain David D. Duncan, 97 ans, qui a couvert la Seconde guerre mondiale et les conflits jusqu'au Vietnam, « on part photographier la guerre comme on entre en religion. Après, on ne fait pas de la philosophie, on montre des faits ».

Pourquoi les images de conflits suscitent-elles un tel intérêt chez les photographes ? Parce que pour les reporters, « la guerre est addictive, surtout quand on en revient sain et sauf », tranche McCullin.

Pour le Français Patrick Chauvel, plus de 40 ans de guerre au compteur, « on est là pour déranger les politiques, on n'est pas là pour choquer mais pour interpeller le plus fort possible ». Avec des images, « on peut changer des comportements individuels, influencer des combattants », poursuit-il, même si au fond, les images de guerre, c'est « un peu toujours les mêmes choses et les mêmes gens, il n'y a que les uniformes qui changent ». « Sur mon casque j'avais écrit SSDD, "same shit, different day" », raconte-t-il.

« Les reporters sont d'abord des témoins, et un témoignage publié peut influencer des décisions », renchérit le photographe russe Yuri Kozyrev (sept années passées à Bagdad).

La souffrance au second plan

Certaines images ont infléchi le cours d'une guerre, rappelle d'ailleurs John G. Morris, « comme au Vietnam, celle de Nick Ut de la petite fille fuyant le napalm en 1972 ». En revanche, le combattant foudroyé de la guerre d'Espagne de Robert Capa n'a rien changé, sinon que l'image est devenue icône, « la photo symbole de la guerre civile espagnole », admet Morris, 96 ans, ancien du magazine américain Life, et l'un des derniers compagnons de reportage de Capa, tombé sur une mine en Indochine à 40 ans.

Les images de guerre ont sans aucun doute encore de beaux jours devant elles: « La guerre, c'est notre garantie d'emploi », ironise Chauvel, en reconnaissant plus sérieusement « chercher encore la meilleure façon de raconter la guerre » malgré sa longue expérience.

Don McCullin, lui, est retourné en Syrie il y a quelques mois, des années après s'être retiré sur ses terres du Somerset. « Quand la guerre sera finie en Syrie vous pouvez parier qu'il y aura ailleurs une autre tragédie », juge-t-il, fataliste, en regrettant que la couverture des conflits ne soit pas toujours une priorité dans les rédactions.

Dans nombre de médias, « la souffrance des gens a été mise au second plan, le people a pris le dessus, le danger c'est qu'on relègue les problématiques humaines et humanitaires au dernier rang de nos priorités », regrette McCullin. « Les victimes de ces guerres et de ces révolutions en payent le prix fort, mais nous ne devons pas renoncer, ce serait une défaite », estime-t-il.

«La photo empêche de dire "on ne savait pas". Aujourd'hui on peut juste dire +je ne veux pas savoir+», conclut Patrick Chauvel.