Les galeristes Émilie Grandmont-Bérubé et Jean-Michel Bourgeois ont demandé à cinq des artistes qu'ils représentent d'accrocher une de leurs oeuvres avec des réalisations d'artistes qui ont influencé leur pratique. Cela donne Chacun montre à chacun, une exposition de groupe esthétiquement réconfortante et révélatrice de lignées artistiques. Une sorte d'esquisse de l'ascendance en art.

Les artistes Sylvain Bouthillette, Mario Côté, Michel Daigneault, Richard Mill et Evergon ont tous été professeurs d'université, influençant le travail de leurs étudiants. Mais quelles ont été leurs propres influences? Dans le cas de Sylvain Bouthillette, dont la démarche artistique est intimement liée à sa spiritualité et à son engagement, l'appariement à Joseph Beuys (1921-1986), mythique artiste allemand, est logique.

Bouthillette est imprégné du concept de sculpture sociale en tant qu'oeuvre d'art totale, défini par Beuys dans les années 70. Ce printemps, Bouthillette présentait à L'oeil de poisson, à Québec, l'exposition L'espace capital, en référence au «Das Kapital Raum», une installation de Joseph Beuys.

La toile de Bouthillette, Joseph Beuys s'accélérant au milieu de la vacuité, de 2006, est une technique mixte «classique» de l'artiste montréalais - un oiseau sur une branche intégré dans une sorte de tableau noir aux inscriptions à la craie, figurant un univers ou une cornée d'où émergerait un cristallin. Elle est associée à trois estampes de Beuys faisant partie de ses dessins inspirés des Codex Madrid, les deux manuscrits de Leonard De Vinci retrouvés en Espagne en 1964. L'ascendance est ici beaucoup plus spirituelle qu'esthétique.

Autre association logique, celle de Mario Côté à Fernand Leduc. L'hérédité artistique est évidente et flamboyante entre Composition triangle jaune, toile peinte en 1960 par le signataire du Refus global, et Hexa 1, magnifique acrylique de Mario Côté réalisée en trois toiles juxtaposées en 2004.

Agencements et filiation

D'un côté, on a les beaux agencements de Fernand Leduc avec ses combinaisons géométriques bleues, rouges et vertes entourant un triangle jaune. Et de l'autre, les formes rectangulaires et arrondies aux couleurs douces de Mario Côté (réalisateur du documentaire Fernand Leduc, la peinture et les mots), qui intègre en plus dans son oeuvre une réflexion sur les sons.

À l'entrée de la galerie, à gauche, on reconnaît, là aussi, la nette filiation entre Richard Mill et les minimalistes américains, ici Ellsworth Kelly. Son grand tableau RM 1437 s'apparente totalement à Coloured Paper Image IIXI, créé en 1976 par le peintre abstrait américain. C'est encore plus évident quand on considère le mot «callipyge» inscrit en haut du tableau de Mill. Comment ne pas distinguer les «belles fesses» d'une Vénus idéalisée dans les formes suggérées par le peintre de Québec comme dans celles, harmonieuses, exprimées dans du coton teint par Kelly?

Parlant de fesses, Evergon en surprendra plus d'un (sauf les initiés, bien sûr) avec sa photo Clipper de deux hommes cinquantenaires, flambant nus, l'un coupant les cheveux de l'autre, une scène intime qu'il a associée à des dessins homoérotiques de Tom of Finland des années 50. Quand le culte du gai bodybuildé a pris de la vigueur. Une association contrastée qui évoque notamment le souci du paraître.

Finalement, la dernière lignée présentée est celle qui connecte Michel Daigneault au peintre inuit Pudlo Pudlat (1916-1992). Oeuvre récente de Daigneault, Espion se situe aux limites de l'abstraction et du figuratif, évoquant l'isolement et le secret. Elle côtoie deux dessins Sans titre que l'artiste inuit avait réalisés en 1977-1978, des scènes maritimes représentées simplement, une singularité qui semble caractériser la démarche de Daigneault.

Chacun montre à chacun, à la galerie Trois Points, jusqu'au 22 juin.