Spectres, sorcières et vampires envahissent le Musée d'Orsay à Paris pour une exposition sur le «romantisme noir» de Goya à Max Ernst, qui fait fi de la raison et explore la représentation des forces obscures, de l'inconscient, de la cruauté et du mal.

L'ange du bizarre rassemble jusqu'au 9 juin quelque 200 oeuvres de la fin du XVIIIe siècle au début du XXe siècle. Elle présente aussi des extraits de films de réalisateurs qui se sont inspirés de ce courant comme Bunuel, Murnau ou Fritz Lang.

L'exposition devrait pouvoir séduire un public jeune, qui s'apercevra que films, romans fantastiques et jeux vidéo ont fait leur miel de cet univers qui évoque l'«Heroic Fantasy» (fantastique médiéval).

Le terme de «romantisme noir» a été imaginé vers 1930 par l'historien de l'art italien Mario Praz pour désigner un mouvement littéraire et artistique révélant la part d'ombre et d'irrationnel qui se dissimulait sous l'apparent triomphe de la philosophie des Lumières.

«Le romantisme noir ne se limite pas à une période ni à un style», souligne Côme Fabre, conservateur au musée d'Orsay et commissaire de l'exposition. «C'est un courant de pensée, né lors de la tourmente révolutionnaire à la fin du XVIIIe siècle en Europe, qui s'est épanoui au début du XIXe siècle puis a eu des résurgences avec le symbolisme de la fin du XIXe et le surréalisme des années 1920/1930». D'où le spectre chronologique très large de cette exposition, conçue et déjà présentée au Städel Museum de Francfort.

Aux sources de ce fleuve, le Suisse Johann Heinrich Füssli (1741-1825) installé en Angleterre. Son tableau Le cauchemar (1781), montrant une jeune femme abandonnée à ses rêves, entourée d'un démon malfaisant et d'un cheval lubrique, fait scandale.

Dans La folie de Kate, Füssli peint le regard halluciné d'une jeune veuve. Les Trois sorcières de Macbeth pointent un doigt accusateur.

Avec son Grand dragon rouge (1803), le visionnaire William Blake imagine une créature dont semblent s'être nourris au XXe siècle les dessinateurs d'«Heroic Fantasy», un genre qui a inspiré la littérature, le cinéma, la bande dessinée ou les jeux.

«Fleuve souterrain»

Simultanément en Espagne, Francisco Goya (1746-1828) imagine un Vol de sorcières. Les scènes de cannibalisme fascinent ce peintre hanté par la folie des hommes. Le radeau de la méduse (1818) de Théodore Géricault, dont l'exposition montre une esquisse, évoque lui aussi cet acte contre-nature.

Représenter la violence peut être un moyen de se faire remarquer: pour le Salon de 1850, le jeune peintre français William Bouguereau, plutôt du genre académique, évoque avec Dante et Virgile aux enfers une scène terrible où deux damnés s'enlacent dans une lutte impitoyable.

À la fin du XIXe surgissent d'autres figures, comme Méduse, le Sphinx ou encore des vampires qui inspirent le Norvégien Edvard Munch.

Les symbolistes comme Gustave Moreau explorent les territoires de l'imaginaire, les rêves. La femme devient fatale, sensuelle et vénéneuse.

L'esprit du marquis de Sade souffle sur plusieurs oeuvres de l'exposition. Le musée a sorti de ses réserves des photographies osées de Charles-François Jeandel (vers 1890), montrant une femme nue ligotée.

Un peu plus loin, côté allemand, un cavalier sans tête s'enfuit à cheval... Une oeuvre de 1873 du Suisse Arnold Böcklin. «C'est comme dans le film Sleepy Hollow de Tim Burton», s'amuse le président du musée d'Orsay Guy Cogeval, qui a invité le réalisateur américain à venir découvrir l'exposition.

«Le cinéma est certainement le médium qui au XXe siècle a le plus utilisé les grands thèmes gothiques», déclare à l'AFP M. Cogeval.

Le romantisme noir reprend de la vigueur après la guerre de 1914-1918. Les surréalistes comme Salvador Dali, René Magritte et Max Ernst s'appuient sur l'inconscient et les rêves pour leur création.

L'exposition remet en lumière ce «fleuve souterrain» du romantisme noir, qui a pu être «méprisé parfois car il s'attachait plus au sujet qu'à la forme», souligne Côme Fabre.