Il souhaitait «faire émerger, par le triomphe de nos guérillas intérieures, un homme total, un poète, un homme nouveau»: le musée Cantini de Marseille consacre une exposition au peintre chilien Matta, passé d'un surréalisme abstrait à la représentation engagée d'événements historiques.

L'exposition Matta, du surréalisme à l'histoire au musée Cantini rend hommage jusqu'au 19 mai, dans le cadre de Marseille-Provence 2013, à Roberto Sebastián Matta Echaurren, plus connu sous le nom de Matta.

Cet artiste prolifique, né au Chili en 1911, et engagé à gauche, a côtoyé bon nombre des grands artistes du XXe siècle, de Federico Garcia Lorca, René Magritte, Salvador Dali et André Breton à Marcel Duchamp et Jackson Pollock. Artiste de l'exil, il a vécu entre le Chili, la France, l'Italie, l'Espagne et les États-Unis.

Le musée Frieder Burda de Baden-Baden dédie également jusqu'au 2 juin une rétrospection, intitulée Matta, fictions, à cet artiste assez peu connu du grand public.

Décédé en 2002, Matta a laissé des toiles monumentales mais aussi de nombreux dessins, qui occupent une place prépondérante dans son oeuvre.

«On marque une fois de plus le lien entre les surréalistes et Marseille», se réjouit Daniel Hermann, adjoint au maire chargé de l'action culturelle, qui rappelle que des membres du mouvement ont séjourné dans la cité phocéenne en 1940.

L'exposition marseillaise s'ouvre sur des oeuvres des années 1930 et 1940, peintes selon une technique qui rappelle celle de l'écriture automatique, chère à André Breton: un chiffon pose la couleur sur la toile de façon aléatoire, déterminant le fond sur lequel travaillera l'artiste.

Dans ces tableaux expressionnistes abstraits, Matta, qui avait une formation d'architecte, fait éclater l'espace, joue avec des plans et des lignes qui se croisent dans un univers dénué de véritable perspective.

Au cours de cette phase, il explore dans ses Morphologies psychologiques ce qu'il appelle des «inscapes», des paysages intérieurs. Ce n'est qu'après la Seconde Guerre mondiale qu'il introduit des figures humaines stylisées sur ses toiles, au grand dam d'André Breton.

«Nous avons voulu montrer la filiation entre son travail surréaliste et son engagement vis-à-vis du monde extérieur, qui date de son séjour aux États-Unis» (où il s'est installé en 1940 pour fuir la guerre en Europe), explique Claude Miglietti, conservatrice au musée Cantini.

Robotisation du monde

Matta évolue alors de la peinture des paysages intérieurs à la représentation de paysages fictifs et visionnaires, comme dans le gigantesque Les puissances du désordre, et celle d'événements dont il est contemporain.

Ainsi, dans Les roses sont belles, premier de ses tableaux consacrés à un fait historique précis, il évoque l'exécution aux États-Unis des époux Rosenberg pour espionnage au profit de l'URSS, prêtant aux juges de dures figures de robots. Leur condamnation à mort provoqua un vaste élan de solidarité à travers le monde, entraînant notamment tout les intellectuels français, avant que leur culpabilité soit effectivement confirmée.

Voulant dénoncer l'aliénation de l'homme, Matta, proche du Parti communiste, représente aussi sous forme de robots les CRS matraquant les étudiants pendant la révolte de mai 1968 dans La chasse aux adolescents.

Thème de la robotisation du monde, contorsions de créatures étranges, entre humains, plantes, animaux et machines: des constantes dans les toiles de cette deuxième période.

Dans La question, Matta aborde le thème de la torture en Algérie à travers un tableau aux tonalités entièrement grises, à l'exception du torse du personnage central, rouge vif, électrisé.

Après le coup d'État de Pinochet au Chili, en 1973, il coupe les liens avec son pays natal.

Sa critique d'événements politiques et sociaux s'exprime souvent par le recours au grotesque. Une longue série de tableaux consacrés à la vie politique colombienne donne à voir une cavalcade de personnages difformes et d'animaux sur fond gris. Lorsqu'il représente Che Guevara mort, il l'entoure de crocodiles coiffés de képis, se félicitant mutuellement.