C'est à Brasilia que l'achitecte brésilien Oscar Niemeyer, décédé mercredi à l'âge de 104 ans, a laissé sa plus forte empreinte grâce à ses monuments élancés et aux lignes courbes, devenus les symboles de la capitale futuriste de l'immense Brésil.

Inaugurée le 21 avril 1960 et patrimoine de l'humanité depuis 1987, Brasilia - au dessin en forme d'oiseau aux ailes déployées - est l'oeuvre conjointe de trois hommes: l'urbaniste Lucio Costa, le paysagiste Roberto Burle Marx et Oscar Niemeyer.

«J'ai l'impression de débarquer sur une planète différente, pas sur la terre», avait déclaré le cosmonaute russe Youri Gagarine en arrivant à Brasilia en 1961.

Le Parlement, avec ses deux demies-sphères inversées, ainsi que la cathédrale sont devenus immédiatement emblématiques. Tout comme le palais du Planalto (siège de la présidence) et ses arcades en marbre donnant l'impression d'être à peine posé sur le sol ou le palais de l'Itamaraty (ministère des Affaires étrangères) semblant flotter sur un étang.

Toutes ces constructions, qui paraissent défier la gravité, sont caractéristiques du trait de Niemeyer.

Située sur un haut plateau aride, à plus de 1000 mètres au-dessus du niveau de la mer, Brasilia a été imaginée dès le XIXe siècle quand a surgi l'idée de rééquilibrer au profit de l'intérieur cet immense pays au littoral surpeuplé.

C'est en 1955 que le président Juscelino Kubitschek donnera finalement le coup d'envoi à la construction de la nouvelle capitale. Cinq ans après, la ville est inaugurée en un temps record.

Malgré son engagement revendiqué haut et fort au Parti communiste depuis 1945, Niemeyer va fonder sa propre agence et recevoir les commandes les plus prestigieuses de l'État comme Brasilia.

«On pensait que ce serait une cité heureuse. Mais une fois qu'elle a été terminée, j'ai eu un choc: comme toutes les villes brésiliennes, c'est une ville de la discrimination, de l'injustice, de la séparation entre les riches et les pauvres», avait confié Niemeyer en 2005 aux colonnes de l'Humanité.

Même s'il a rompu avec la contrainte de l'angle droit pour lancer des formes courbes, le plan de Brasilia détermine de manière rigide, presque stalinienne, des zones fonctionnelles séparant travail et habitation. Les aires résidentielles sont composées d'ensembles longitudinaux de trois ou six bâtiments, séparés perpendiculairement par des voies où fonctionnent des commerces, des écoles et des ères de loisirs.

Rigoureusement planifiée pour héberger 600 000 habitants en l'an 2000, Brasilia en compte aujourd'hui cinq fois plus.

Et le rêve a parfois tourné au cauchemar car elle symbolise aussi les problèmes sociaux du Brésil et sa discrimination criante. Tandis que Brasilia abrite essentiellement une population de fonctionnaires, les classes populaires qui l'ont construites et y travaillent s'entassent dans des villes satellites, loin de la capitale.

«Les profondes disparités sociales de la nouvelle capitale m'attristent énormément», avait confié Niemeyer à l'AFP en 2010, à l'occasion des célébrations des 50 ans de la ville.

Ses détracteurs critiquent le «tout-voiture» - une obligation dans cette ville sans trottoirs où personne ne marche - et ses embouteillages, le cloisonnement des activités (le quartier des bureaux, des hôtels, des loisirs, des commerces...), ses immenses espaces vides et ses mornes fins de semaine.

Néanmoins, nombre d'habitants apprécient aussi sa tranquillité et sa sécurité. Souvent, les jeunes qui y sont nés n'imaginent pas vivre ailleurs.

Avec la mort de Niemeyer, le trio de pionniers qui a imaginé Brasila a cessé d'exister: Burle Marx est mort en 1994 et Lucio Costa en 1998. Aujourd'hui, Brasilia est orpheline.