Après avoir été finaliste du prix Sobey en 2008, l'artiste montréalaise Raphaëlle de Groot a finalement raflé ce vendredi soir cette très convoitée récompense canadienne en art contemporain. L'annonce en a été faite durant la soirée du gala célébrant le 10e anniversaire du prix, qui a eu lieu au Musée d'art contemporain canadien, à Toronto.

Déjà honorée du prix Pierre-Ayot en 2006, l'artiste de 38 ans a été préférée aux artistes canadiens Jason de Haan, Gareth Moore, Derek Sullivan et Eleanor King. Les Québécois David Altmejd, en 2009, Michel de Broin, en 2007, et Jean-Pierre Gauthier, en 2004, ont déjà remporté le prix Sobey assorti d'une bourse de 50 000 $. Raphaëlle de Groot est la deuxième femme à le gagner après l'artiste inuit Annie Pootoogook en 2006.

Depuis sa bourse de René Durocher en 1996, l'artiste détentrice d'une maîtrise en arts visuels et médiatiques de l'UQAM en a fait du chemin. Elle présente ses travaux régulièrement au Canada et en Europe. Elle a ainsi collaboré avec Dare-dare, centre de diffusion d'art multidisciplinaire (Montréal), le Centre d'histoire de Montréal, la Cittadellarte-Fondazione Pistoletto (Biella, Italie), la Leeds City Art Gallery (Angleterre), la Galerie de l'UQAM (Montréal), le Centre d'art contemporain Le Quartier (Quimper, France) et la Southern Alberta Art Gallery (Lethbridge).

Après 16 ans de carrière, elle poursuit une démarche non conformiste. Ses expositions hors-champ sont des questionnements sur les relations humaines, l'immatériel, le rôle de l'artiste et le sens de l'acte artistique. On est loin du «what you see is what you get». «J'ai une volonté d'ouverture constante pour travailler avec les situations, les rencontres et ce qui existe déjà, disait-elle à La Presse mardi dernier. J'ai toujours eu de la difficulté avec l'idée de l'artiste qui génère de la matière pour produire. Je trouve plus intéressant de travailler la question du regard au-delà de ce que sont les choses.»

C'est cette originalité qui a conquis le jury du prix Sobey. «Les oeuvres de Raphaëlle de Groot sont réalisées dans des contextes variés, le plus souvent extérieurs au monde de l'art, lit-on dans le communiqué de presse du jury. Ce processus lui procure des occasions de rencontrer des personnes de différents milieux (religieuses, travailleurs du textile, aides-familiales, étudiants). À travers ses projets, nous sommes conviés comme témoins, des témoins actifs, intrigués par ce que nous voyons, inquiétés par ce que nous découvrons de nous-mêmes, mais aussi dévoilés à nous-mêmes dans la rencontre au présent et de l'artiste. Son oeuvre prend la forme d'actions, d'objets, d'images, et de documentation. Sa pratique explore et remet en question les façons dont l'art est créé et reçu, de même qu'elle contribue au partage des valeurs et des expériences humaines.»



Le jury du prix Sobey 2012 était formé de David Diviney, conservateur des expositions au Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse, Louise Déry, directrice de la Galerie de l'UQAM, David Liss, directeur artistique et conservateur au Musée d'art contemporain canadien, Ryan Doherty, conservateur de la Southern Alberta Art Gallery et Bruce Grenville, principal conservateur à la Vancouver Art Gallery.

Raphaëlle de Groot a ainsi débuté, il y a trois ans en Alberta, un projet photo-vidéo-installation intituléLe poids des objets. Elle l'a déjà montré à Granby, Québec et Trois-Rivières et en propose jusqu'au 8 décembre une déclinaison à la galerie Graff avec en prime, une vidéo et une performance, jeudi au Musée des beaux-arts de Montréal.

«Ça a commencé à Lethbridge, dit-elle. Je venais de terminer mon travail de destruction d'artefacts. J'ai décidé que mon nouveau point de départ serait la collecte d'objets de la vie ordinaire avec l'idée spécifique que ces objets soient embarrassants, aux rapports ambigus, des objets qu'on ne peut jeter. Par paresse, par attachement à quelqu'un ou pour d'autres raisons.»

Son expo chez Graff présente ainsi quelques-uns de ces objets qu'elle conserve dans un entrepôt. Ils voyagent avec elle et vivent de nouveaux fragments d'existence s'ajoutant à leur «poids» d'origine. Ce sont des jouets, un fil de téléphone, des roches ou des accessoires d'habillement qu'elle associe à des objets-parents trouvés dans des musées.

«En 2011, alors que j'étais en résidence à la Chambre blanche, à Québec, j'ai sélectionné 70 objets de ma collection et essayé de trouver des objets équivalents dans la collection du Musée de la civilisation», dit-elle. Par exemple, elle a jumelé un coussin en forme de coeur à l'odeur de vanille et ayant le mot chance brodé dessus à des coussinets en forme de coeur, des flacons de vanille et des porte-bonheur.

À la galerie Graff, on peut voir plusieurs de ces réunions d'objets, comme sa photo Portrait de famillequi rassemble ces deux familles d'articles. Ou encore des photos d'une botte militaire qui a appartenu à une des premières femmes à faire partie d'une unité de combat de l'armée canadienne. Raphaëlle de Groot a photographié la botte avec une de celles de Napoléon exposée au Musée des beaux-arts de Montréal et ensuite avec une botte d'Adrienne Caron, la mère de l'artiste Marcelle Ferron et des écrivains Madeleine Ferron et Jacques Ferron.

«La botte de Michèle demande à celle d'Adrienne ce qu'elle penserait du fait que Michèle est entrée dans l'armée», dit Raphaëlle de Groot.

Jeudi, elle présentera sa vidéo de 17 min, La réserve, réalisée avec son conjoint Mirko Sabatini, et sa performance Relation, d'une heure, comprenant une lecture accompagnée d'une projection d'images et de fragments audio. Dans La réserve, l'artiste déambule avec son manteau qui renferme plusieurs de ses objets. La vidéo surréaliste comprend un fond acoustique d'Antonio Borghini et de Mirko Sabatini.

Oeuvres récentes, de Raphaëlle de Groot, jusqu'au 8 décembre à la galerie Graff. Et deux performances/projections : jeudi au Musée des beaux-arts de Montréal et vendredi, en anglais, à l'Université Concordia.

Photo fournie par les Prix Sobey

Port de tête de Raphaëlle de Groot.