Le 5 mars, le réseau de télé américain CBS a présenté un reportage sur le sculpteur et peintre québécois Guy Laramée: ses troublants livres sculptés, transformés en paysages à la fois grandioses et miniatures, ont eu droit à cinq bonnes minutes de visibilité et d'explications. Depuis, c'est le tsunami médiatique pour l'artiste, amoureux du silence et de l'immobilité.

Le grand public pourra voir les nouvelles oeuvres de Guy Laramée à Montréal à compter de demain. Musicien, compositeur, scénographe, performeur - il a notamment collaboré avec Robert Lepage et Jean-Frédéric Messier -, Guy Laramée a éprouvé, au début des années 90, le besoin de faire le point. Et de faire silence. Il s'est mis à peindre.

«J'ai d'abord peint pour me reposer des arts de la scène, dit-il dans son atelier dans Rosemont. Et puis la peinture m'a littéralement englouti. Il y avait là, pour moi, quelque chose de plus riche que dans les arts de la scène: ce que j'appelle le spectacle immobile. Le tableau ne bouge pas, mais l'oeil et la perception de celui qui se tient devant ce tableau bougent, ne serait-ce qu'imperceptiblement.»

Tout à cette quête des «arts immobiles», Laramée s'est aussi tourné vers la sculpture et l'installation. Notamment vers ces fameux livres qu'il sculpte au jet de sable pour en faire émerger des paysages: dans une pile de magazines Wired ou quelques volumes de la Grande Encyclopédie Larousse, Laramée sculpte le Grand Canyon, le mont Fuji ou un jardin zen.

«Ce n'est plus tout à fait un livre, mais ce n'est pas encore un vrai paysage, dit Laramée de ses sculptures. C'est un peu le thème de mon travail: on ne peut rien retenir. On essaie de graver des oeuvres et des connaissances dans la matière, sur une bande magnétique, du papier, des CD, mais tout disparaît. En principe, un paysage ne devrait pas émerger d'un livre autrement que dans nos têtes...»

Et pourtant, ces petits paysages minutieusement sculptés sont réels, sans être vrais. Et vice-versa. Partout où ils sont exposés, ici, à New York, à Toronto ou à Washington, les livres-sculptures de Laramée subjuguent... et font un peu d'ombre à ses tableaux et installations.

Les dioramas

Cet intérêt pour ce qui est et ce qui n'est pas, on le trouve aussi dans les installations de Laramée. Elles prennent souvent la forme de dioramas (de gigantesques maquettes, en quelque sorte) qui reproduisent en trois dimensions des tableaux. Au moment de notre rencontre, Guy Laramée travaillait à un diorama du tableau Meeresstrand im Nebel (Rivage dans le brouillard), réalisé en 1807 par le peintre romantique allemand Caspar David Friedrich: un lac embrumé, un bateau sans équipage visible, un ciel qu'on devine...

«Notre oeil est toujours plus attiré par la brume que par la clarté, en quête d'une révélation. Pour moi, c'est l'expression la plus totale de l'art: voir à travers la brume...» Un autre diorama de Laramée, inspiré aussi d'une toile de Friedrich (Mer de glaces), vient d'ailleurs d'être acquis par le Museum of Art and Design à New York.

Guyan Yin

La nouvelle exposition de Guy Laramée intégrera installation, peintures et livres-sculptures. «Quelques jours après le tsunami au Japon, ma mère est morte subitement. Et cela a tout changé, dit-il simplement. Je ne pouvais plus me réfugier aussi facilement dans mes histoires. C'est alors que s'est imposée l'idée de sculpter à la main, dans le bois, la figure de Guyan Yin, qui représente la compassion dans le bouddhisme.»

La sculpture, qui rappelle aussi un peu la vierge Marie, surplombera un parterre fait de 500 chiffons de mécanicien, que Laramée a cousus à la main. Comme une courtepointe d'humilité. Ou comme s'il s'agissait de la plus fine nappe d'autel...

Autour de cette installation, on trouvera certains des fameux livres sculptés de Laramée et de grands tableaux qui reprennent des thèmes que n'aurait pas reniés, justement, Caspar David Friedrich: de vastes paysages, des ciels sans fin, brumeux ou saisis à la tombée du jour...

«Rien dans tout cela n'est à propos de la nature ou de paysages, mais à propos d'émotions qu'on ressent devant des choses qui nous dépassent, des lieux qui sont plus grands que nous, explique Laramée. Les romantiques aimaient peindre des cataclysmes, des tempêtes, parce que ça nous remettait à notre place...»

Guyan Yin, de Guy Laramée, à la Galerie d'art d'Outremont, du 5 au 29 avril.