Il s'était promis de peindre tant qu'il en aurait la force: Lucian Freud, décédé l'été dernier à 88 ans, travaillait encore à sa dernière toile deux semaines avant sa mort, un portrait dévoilé pour la première fois à l'occasion d'une grande rétrospective à Londres.

130 oeuvres retraçant 70 années de travail intense d'un artiste obsédé par le rendu de la chair: la National Portrait Gallery propose «la plus grande exposition» jamais consacrée depuis dix ans au peintre britannique et la première entièrement centrée sur ses portraits et nus.

Dans son atelier, le peintre, plutôt que de recourir aux modèles professionnels, a fait défiler amis, artistes, femmes, maîtresses ou ses nombreux enfants - légitimes ou illégitimes - entremêlant vie privée et artistique.

Il les a peints sans complaisance, sous un jour cru, les mettant en scène allongés par terre, sur un vieux matelas ou à côté d'un tas de chiffons, parfois jambes écartées, sexe à nu. Un travail de «biologiste», selon le peintre, qui ne dissimule ni les marques du temps, ni les chairs flasques. Freud voulait que «l'expression soit dans le corps et que la tête ne soit qu'un des membres».

La reine Elizabeth elle-même, qui a posé pour lui, n'échappera pas à ce regard aigu. L'artiste livrera un petit tableau, à mille lieues des habituelles représentations flatteuses de la souveraine.

«Je n'ai jamais pu peindre des choses que je n'avais pas là, sous mes yeux. Tout est autobiographique et tout est portrait, même si ce n'est qu'une chaise», expliquait Freud.

La confrontation de ses premières toiles avec les oeuvres de maturité permet de mesurer toute l'évolution de sa technique, devenue plus puissante, plus brutale, avec des empâtements de blanc, des coups de pinceaux plus denses.

Ses modèles étaient soumis à des séances interminables, dans des poses souvent très inconfortables, façon de porter sur eux un regard renouvelé.

«Il a probablement passé plus de temps à peindre ses portraits que la plupart des artistes», explique Sarah Howgate, commissaire de l'exposition.

Il lui aura ainsi fallu 130 heures pour celui du peintre David Hockney.

Parmi ces modèles, Sue Tilley, employée d'un centre d'allocations sociales, à laquelle le peintre a consacré plusieurs toiles, dont une représentant cette femme très plantureuse, endormie sur un canapé comme une monumentale odalisque.

Elle s'est vendue en 2008 35 millions de dollars, un record absolu pour une oeuvre du vivant de son auteur....

Très riche, Freud vivait simplement dans une maison de Londres, avec son atelier à l'étage.

Né en 1922 à Berlin, il avait émigré à Londres dès 1934 avec ses parents, pour fuir le nazisme. Son grand-père, le psychanalyste Sigmund Freud, les avait rejoints en 1938.

Fêtard et joueur dans sa jeunesse, il s'est consacré de plus en plus à la peinture avec l'âge.

Sa dernière oeuvre, il l'a commencée près de quatre ans avant sa mort. Et n'a pas réussi à l'achever, bien qu'il ait continué à peindre jusqu'à ce que ses forces l'abandonnent. À la fin, au lieu de ses cinq heures de travail matinal habituel, il «peignait une demi-heure et devait s'arrêter», a raconté son assistant et ami David Dawson.

C'est lui qui pose nu dans cet ultime témoignage, étendu à côté d'un chien, thème récurrent chez Freud pour rappeler l'animalité de l'être humain.

«Freud est un des grands peintres figuratifs de la seconde moitié du XXe siècle», estime Sandy Nairne, directeur du musée. «À cette époque, beaucoup d'artistes s'engagaient dans d'autres voies. Lui est resté fidèle à son idée que l'humain était le plus important sujet de la création artistique».

Lucian Freud Portraits du 9 février au 27 mai, National Portrait Gallery à Londres