La langue et le territoire, on le sait au Québec, définissent une culture, une nation. Que deviennent ceux qui ont perdu l'une ou l'autre, ou les deux? Quelques réponses à la galerie Art mûr, réponses d'artistes autochtones canadiens et américains à qui c'est arrivé.

La vingtaine de participants à cette exposition intitulée Baliser le territoire / A Stake in the Ground, sont reconnus comme artistes. Ils ont été choisis par Nadia Myre, elle-même artiste et autochtone née à Montréal.

Ces artistes sont intégrés au milieu de l'art contemporain canadien ou américain. Certains ont une carrière internationale, comme Rebecca Belmore et Edgar Heap of Birds. Qui ont, l'une, représenté le Canada à la Biennale de Venise, l'autre, les États-Unis. D'autres sont des nouveaux venus comme Michael Patten. Rita Letendre y a sa place, de même que Raymond Dupuis. Oublions donc les clichés sur l'art autochtone traditionnel tourné vers le passé. Ici, les artistes réfléchissent à leur avenir. Ils se posent des questions sur l'acculturation, la perte de possession de leur territoire ou la disparition de leur langue. Ils s'interrogent sur leur identité.

Voici Will Wilson, par exemple, photographié les pieds dans l'eau marécageuse d'un champ inondé, masque sur la bouche, crème sur le visage, yeux rougis. Son message est assez clair. Il n'y a plus moyen de vivre sur ces terres complètement polluées à moins de trouver une Auto-Immune Response (c'est le titre de sa série de photos).

De son côté, Rebecca Belmore a assis un personnage imposant, grandeur nature, sur le plancher, les mains blanches tournées vers le haut, prostré, le visage penché et caché sous de longs cheveux noirs qui se répandent derrière lui pour former une sorte de tapis. Sur son blouson noir, des mots à peine visibles sont cousus, noir sur noir: Fucking Indian dans un sens croise Fucking Artist dans l'autre avec une tache rouge en plein milieu du dos. On comprend que Rebecca Belmore est doublement paria.

Edgar Heap of Birds, d'origine cheyenne, voit rouge dans sa série de messages en blanc laiteux sur des feuilles de papier couleur sang. Il y écrit, par exemple, à la manière des titres dans les journaux américains: «Indian Still Target Obama Bin Laden Geronimo».

Nicholas Galanin met de l'humour dans ses oeuvres, mais son propos est de même nature. Il y a ce loup gris superbe, naturalisé, dont la moitié du corps est étendu pour former un tapis décoratif. Et sur le mur sont alignés des masques typiques des autochtones de la côte Ouest, en porcelaine et non en bois, porcelaine ornée de fleurs bleues comme les services de thé britanniques.

Quelques artistes s'intéressent surtout à la langue qu'ils parlent, ou ne parlent plus. Ainsi, dans une vidéo de Kevin Lee Burton, de jeunes autochtones se confient. L'un dit qu'il ne comprend pas pourquoi ses parents ne lui ont jamais enseigné leur langue, alors qu'ils l'ont fait pour des centaines d'autres. Un autre, Greg Staats, sur vidéo, essaie de parler mohawk en tenant un wampum comme s'il s'agissait d'un chapelet.

Le travail de Raymond Dupuis prend tout son sens dans cet ensemble d'oeuvres. Ses tableaux-collages représentent des territoires urbains balisés sur lesquels s'inscrivent des signes grouillant évoquant surtout la culture des Hopis. Il nous a déjà dit que sa grand-mère lui racontait des histoires en malécite, langue qu'il ne comprenait pas, mais dont il a gardé la nostalgie du rythme.

Et pour finir, cet objet ironique: un bâton de baseball gainé de perles blanches (beads) dont l'extrémité forme une petite carte du Canada couleur sang. Le titre: Native Beating (jeu de mots avec native beading). Du jeune Michael Patten.

La galerie Art mûr, qui vient de fêter son 15e anniversaire, semble à la croisée des chemins entre son statut de galerie privée et ses initiatives de centre d'art. Elle pourra peut-être un jour organiser des visites guidées pour le public, comme celle à laquelle on a eu droit comme journaliste en compagnie d'Ève De Garie Lamanque. Elle offre déjà des petits catalogues, essentiels quand il s'agit d'art contemporain.

Baliser le territoire / A Stake in the Ground à la galerie Art mûr, 5826, rue Saint-Hubert, jusqu'au 25 février.