Montréalais de 58 ans, Jean-Pierre Larocque expose ses oeuvres pour la première fois à Montréal. Pourtant, c'est un sculpteur et céramiste renommé à Toronto et aux États-Unis où il a vécu, travaillé et enseigné une dizaine d'années. La Presse a rencontré cet artiste aux sculptures très énigmatiques. Comme issues d'une autre époque.

Jean-Pierre Larocque est un artiste peu connu à Montréal. Et pour cause: il a vendu ses oeuvres pendant plus de 20 ans hors du Québec. Une fois qu'une galerie new-yorkaise s'intéresse à vous, c'est la spirale américaine...

De retour au bercail après avoir enseigné pendant 10 ans au New York State College of Ceramics, à la California State University, à l'Université de Georgie et à l'Université du Michigan, Jean-Pierre Larocque expose ses Oeuvres récentes à la galerie d'Este.

Elles frappent tout d'abord par leur caractère à la fois fantastique, primitif et inachevé. Étranges créatures surgissant de l'époque de Gengis Khan ou s'apparentant à des terres cuites chinoises bimillénaires, ses sentinelles, ses tuiles et ses bustes de céramique ont pourtant été créés et cuits à Montréal par un artiste qui les enveloppe d'une aura de mystère.

Les sculptures de Jean-Pierre Larocque ont une texture qui fait penser à des morceaux de cuir ou de linge qu'on aurait trempés dans l'argile, fait sécher puis teints. Ce n'est pas le cas. Le côté huilé de ces oeuvres aux airs ancestraux vient de la façon dont il les crée: avec des galettes d'argile qu'il triture, aplatit et déforme à souhait.

Ses grandes sentinelles de céramique impressionnent par leur aspect chiffonné et humide. Si celle qu'il a créée en 2007 a des traits grossiers, celle de 2011 atteint un raffinement et un bel équilibre dans les proportions.

Pigmentés, les tuiles et les bustes énigmatiques font penser à des effigies du Moyen Âge, de la Renaissance ou de la Révolution française. Ils sont le résultat de l'inspiration qui guide sa main comme on le constate sur une vidéo qui présente, dans la galerie, sa technique très particulière.

Cette technique contemporaine de créer des oeuvres qui ont l'air ancienne est unique. Jean-Pierre Larocque dit l'avoir inventée en «défrichant», alors qu'il travaillait aux États-Unis dans ses ateliers universitaires.

Ses deux grands chevaux portant bagage et pigeonnier ont l'air d'être sortis de fouilles archéologiques. Comme usé par le poids de siècles d'enfouissement. Et pourtant, ils ne sont que le produit de la patience de l'artiste qui leur imprime pendant des jours et des jours une fausse patine du temps.

Ses fusains sont tout autant fascinants. Ses personnages fantomatiques semblent issus de toutes les civilisations du monde. L'oeuvre La visite, par exemple, a l'air d'une réunion de voyageurs de tous pays et de toutes époques invités par un jeune enfant caucasien. Personnages asiatiques côtoient faciès précolombiens et turcs dans une grande danse onusienne.

Pourtant, les références stylistiques de ses oeuvres sont le fruit du hasard, dit-il. «Quand je termine une oeuvre, j'ai souvent l'impression d'avoir visité toutes sortes d'époques. Mon personnage peut avoir les pieds dans le futur et la tête au Moyen Âge. C'est un peu de la façon que ma mémoire fonctionne, sans plan et sans modèle. Un dessin, une oeuvre, c'est quelque chose qui m'arrive, quelque chose que je vois.»

En pleine maîtrise de son art, Jean-Pierre Larocque est heureux de montrer «enfin» ses oeuvres à Montréal, cinq ans après avoir fait la une du magazine Vie des arts.

«Ça devenait bizarre de ne pas les exposer ici, mais ce sont les circonstances qui ont fait ça, dit-il. J'ai exposé une quarantaine de sculptures au Musée Gardiner de Toronto en 2006, une exposition choisie l'exposition de l'année là-bas, mais on n'en a jamais parlé à Montréal. Le pays est comme ça!»

OEuvres récentes de Jean-Pierre Larocque, jusqu'au 2 octobre, à la Galerie d'Este (1329, rue Greene).