Pour célébrer l'inauguration de son nouvel espace à Montréal, le galeriste de Québec Louis Lacerte propose jusqu'au 16 juin King Lear, une exposition de Rafael Sottolichio où la peinture traite de philosophie, d'identité et de politique. Une mise en route audacieuse mais logique pour une galerie Lacerte habituée aux grandes signatures.

Trente ans après que Madeleine Lacerte eut ouvert sa première galerie à Québec, la création d'une galerie Lacerte à Montréal est remarquable. Voici un acteur québécois important des arts visuels qui a exposé de grands noms: les Jean Paul Lemieux, Jean-Paul Riopelle, Marcelle Ferron, Jean McEwen, Serge Lemoyne ou encore Francine Simonin.

Louis Lacerte poursuit depuis 20 ans l'oeuvre de sa mère et représente aujourd'hui des valeurs sûres de l'art contemporain, telles que Jean-Robert Drouillard, Marc Séguin ou Julie Tremblay. Mais aussi Rafael Sottolichio, qui étrenne les nouveaux locaux de Lacerte créés au bord de la Petite Italie.

Rafael Sottolichio est un être hybride. D'abord sur le plan de l'identité. Né dans l'Amérique hispanophone, il a été construit dans sa partie francophone puis nourri à la culture anglophone et aux sources du monde. Mais aussi culturellement: l'artiste de 39 ans est autant passionné de peinture que de critique philosophique.

Son exposition solo King Lear (la 18e en 15 ans) est née de son intérêt originel pour The Tempest, de Shakespeare, quand l'ouragan Katrina a ravagé La Nouvelle-Orléans. La tragicomédie du dramaturge anglais lui a alors révélé un univers dans lequel il s'est plongé avec ravissement, ce qui l'a amené à découvrir la tragédie King Lear.

«Quelque chose a cliqué, dit Rafael Sottolichio. Pour la violence, pour l'agressivité et les relations humaines extrêmement difficiles dans la pièce. Après mes expositions S'étranger et La chute où j'étais dans l'existentialisme, Camus, Heidegger et Sartre, là, avec King Lear, j'étais dans Nietzsche.»

Tragédie

Rafael Sottolichio a voulu travailler sur l'idée de tragédie, à la fois avec la notion de conscience romantique individuelle, qu'il traduit par des portraits réalistes en noir et blanc, et avec des mises en scène où les personnages sont considérés plutôt comme des marionnettes engoncées dans des univers restrictifs.

Ce discours opposant en principe Kant à Derrida et Foucault, l'artiste l'a réalisé avec détermination et patience. Pour ses oeuvres les plus théâtrales, il a convoqué en studio des acteurs et les a photographiés nus dans des dizaines de postures scéniques, parfois déclamatoires, le plus souvent expressives.

Il utilise ces représentations humaines dans leur plus simple appareil (avec des bottes de cuir pour seule parure) pour construire, à l'aide de maquettes et d'ordinateurs, des tableaux détaillés qui représentent des extraits de King Lear qu'il interprète librement. Sa dissertationpicturale emprunte aux langages du pouvoir, de la sexualité et du fétichisme.

Les corps, très bien dessinés, sont installés dans un décor que Rafael Sottolichio crée tel un scénographe, juxtaposant des éléments les uns après les autres, sorte de collage peint à l'acrylique et à l'huile qui finit par représenter une scène de King Lear.

«Dans But Yet Thou Art My Flesh, le fond constitué de personnages a été placé à la toute fin parce que je voulais d'abord représenter la cour du roi «, dit Rafael Sottolichio, qui présente dans ce tableau une sévère altercation entre le roi Lear et une de ses filles.

La famille royale est nue, tout comme le fou (l'artiste luimême), tandis que la cour est incarnée par des personnages colorés et habillés, notamment des policiers de l'escouade antiémeute de Montréal qui jouent les chevaliers !

Avec cette expo, Rafael Sottolichio conjugue son art à une réflexion profonde sur la démocratie, la condition humaine, la nationalité et l'identité. La référence aux despotes (sa famille a fui le Chili à cause de Pinochet) est soulignée avec finesse, dans son sens universel, sans pointer quiconque, usant de la contemporanéité d'un auteur comme Shakespeare.

Fait intéressant, l'artiste a fait appel à l'acteur Georges Molnar pour « interpréter « le roi. Avec sa barbe et ses cheveux de prophète, Molnar a le physique de l'emploi, ayant d'ailleurs joué Mr Lear, une adaptation de King Lear, à l'Usine C en 2001.

La directrice de la galerie, Annie Lafleur, a eu par ailleurs l'heureuse idée d'installer, près des tableaux de Sottolichio, Continuum 2, une sculpture de Julie Tremblay, sorte d'héroïne recroquevillée, élaborée par couches successives d'acier recyclé découpé en formes circulaires. L'oeuvre se marie très bien avec le royaume étrangement beau et très évocateur de Rafael Sottolichio.

King Lear, de Rafael Sottolichio, jusqu'au 16 juin, à la galerie Lacerte (6345, boulevard Saint-Laurent).

Info: www.galerielacerte.com