Depuis une dizaine d'années, Paul Bourgault fait partie de ces peintres d'ici en recherche permanente d'une réflexion picturale. Exposée à la galerie D'Este jusqu'au 12 juin, sa dernière production, L'inventaire, exprime, grâce à une technique admirable, un vrai sentiment de plénitude.

Tombé en pâmoison devant un Van Gogh à Paris à l'âge de 15 ans, à l'occasion d'un voyage de hockey, Paul Bourgault a décidé ce jour-là d'être peintre. C'est dans la peinture scénique qu'il a fait ses premiers pas artistiques, empruntant aussi les chemins du paysagisme avant de découvrir la fragmentation, d'embrasser la sérigraphie et la monochromie, puis de revenir à la couleur.

L'artiste de 44 ans agence aujourd'hui pigments et collages pour créer des oeuvres équilibrées qui soulignent les différentes étapes de l'histoire de l'art et les travers de la modernité.

Il avait donné une idée de sa démarche avec Grande consécration des utopies approximatives, vernie au printemps 2010 à la maison de la culture Frontenac. Cette année, il poursuit avec une série de 10 toiles résultant d'un travail de moine autant que de recycleur.

Comme un électron libre

Placée à l'entrée de la galerie, CTRL-Z Empire (2010), acquise par un musée du Québec, illustre ce style qui consiste à créer une macédoine de couleurs, de formes, d'expressions et de sujets: un chien, des collages de papiers prépeints, une photo numérisée de ces petites étiquettes rondes que les producteurs placent sur les pommes, des lettrages, etc.

Cet amalgame d'informations picturales confère à l'ensemble un cachet fantastique. «Jusqu'à un certain point, je réfléchis et fais appel à mon intuition comme si j'étais un électron libre, dit Paul Bourgault. Tout ce que je ramasse peut être intégré à mon oeuvre, comme un levain narratif.»

Et pourquoi CTRL-Z Empire? «Je ne suis pas nihiliste, mais avouons que certains jours, les humains sont l'empire qui s'efface lui-même», dit-il.

Plus loin, les toiles 45 RPM (A-Side et B-Side) sont les deux faces d'un même disque. Dans B-Side, on pénètre dans une forêt magique avec ses troncs d'arbres et ses affleurements rocheux. Les collages sont intégrés dans un ensemble d'où émane une belle harmonie dans les tons et dans la disposition des éléments décoratifs.

Avec la surréaliste A-Side, on s'émerveille devant son talent de dessinateur prenant plaisir à figurer de multiples époques de l'art. C'est la signature Bourgault, cette volonté de juxtaposer décor médiéval, symboles de notre ère consumériste, corps du Cinquecinto et, dans ce cas, une main un peu précieuse qui rappelle celle de l'avocat Hugo Simmons dessiné par Otto Dix.

Plus complexe et déstructuré, Le rêve prémonitoire de maître Harmenszoon van Rijn, hommage à Rembrandt, est constitué d'éléments hétéroclites suggérés dans leur incomplétude: une tête tronquée, des chairs aux beaux coloris, un doigt qui pointe vers les cieux comme dans les peintures religieuses, un paysage du XVIIe siècle et les mots «ruefrontenac.com».

Pour Petit inventaire au corbeau, il a peint avec la dextérité du médecin légiste, découpant les corps sans égard à l'anatomie. Les morceaux qu'il assemble sont comme en suspension dans les airs.

Encore plus grande, la toile Les larrons (178 x 228 cm) est superbe dans son arrangement de plantes, oiseaux et fruits formant un arc triomphal dans la partie supérieure du tableau avec une belle profondeur.

L'homme et l'information

L'art de Bourgault invite à réfléchir à l'homme submergé d'informations, grains et ivraies mélangés. «On a «checké» tous les recoins de la planète, dit-il. On est allé sur la Lune au lieu de comprendre ce qui nous arrive et combien on peut être puissant. Rembrandt aurait rêvé à ça.»

Bourgault favorise le hasard et l'imagination, égérie du créateur cavalant sur les lueurs du passé. L'artiste n'a pas fini d'y recourir. «Je pense que je suis sorti de l'incubateur, dit-il. J'espère qu'il me reste 40 ans pour progresser et être au sommet de mon art à 80 ans!»

Jusqu'au 12 juin à la galerie D'Este. Info: www.galeriedeste.com