Pour le meilleur et pour le pire, la Seconde Guerre mondiale a joué un grand rôle dans l'histoire du patrimoine bâti: pendant que des militaires cherchaient les meilleures façons de détruire, des architectes inventaient de nouvelles façons de construire. Curieux paradoxe, et pourtant l'un et l'autre étaient étroitement reliés, comme en témoigne l'exposition Architecture en uniforme, présentée au Centre canadien d'architecture.

Montée par l'historien de l'architecture Jean-Louis Cohen, Architecture en uniforme n'est pas tant une expo sur l'architecture guerrière, qu'une expo sur l'architecture pendant la guerre. Vous n'y verrez pas les grandioses et flamboyantes créations d'Albert Speer à la gloire du IIIe Reich, mais plutôt comment le deuxième conflit mondial, avec ses exigences et ses besoins spécifiques, a débouché sur des innovations qui se font encore sentir dans le monde et l'architecture moderne.

Il faut savoir qu'en plus d'être fortement industrialisée, la guerre 1939-1945 fut marquée par une extension de la bataille aérienne, ce qui a augmenté la menace sur les villes, dont plusieurs - à commencer par Londres - furent lourdement bombardées.

Du coup, la participation des architectes à l'effort de guerre s'est transformée. Sollicités sur tous les fronts, ils ont participé à l'élaboration de nouvelles techniques d'attaque et de défense urbaine, conçu des bunkers, des logements ouvriers, des baraquements transportables, des bâtiments pour les fonctionnaires de guerre (le Pentagone), créé des zones de camouflage fictives et des camps de concentration réels et construit des usines nouveau genre pour répondre aux besoins pressants d'une production industrielle intensifiée.

Architecture en uniforme illustre tout cela par le truchement de photos, de plans, d'objets, de maquettes, de dessins, de publications, de documents historiques, d'affiches et d'extraits d'une vingtaine de films de propagande fournis par l'ONF (voir encadré). Où l'on apprend que des usines sans fenêtres étaient construites pour ne pas attirer l'attention pendant la nuit; que la question des abris antiaériens fut au coeur d'une grosse crise politique en Angleterre; que des urbanistes ont voulu créer un «faux Paris» pour confondre les bombardiers nazis et que les plans d'Auschwitz furent mûrement réfléchis par un architecte allemand visionnaire. Consacrée à la reconstruction, la dernière partie de l'expo s'ouvre sur la société d'après-guerre, axée sur le recyclage et la production de masse.

Pour le commissaire de l'expo Jean-Louis Cohen, il ne fait aucun doute que la Seconde Guerre mondiale a eu un effet direct sur notre environnement bâti actuel. «C'est un conflit qui a accéléré de nombreux changements formels et technologiques, voire d'importants changements de civilisation,. Il est clair, entre autres, qu'il est à l'origine d'une architecture de la bureaucratie, de la monotonie et de la production de masse des années 50 et 60 qui a débouché sur l'hégémonie des États-Unis», résume-t-il.

Le meilleur exemple de cet héritage? Les fameux «Big Box» de nos banlieues commerciales, directement inspirées des usines sans fenêtres évoquées plus haut.

La prochaine fois que vous irez magasiner au Marché central, ne l'oubliez pas.

Architecture en uniforme, présentée au Centre canadien d'architecture jusqu'au 18 septembre.