D'origine à la fois crie et irlandaise, l'artiste torontois Kent Monkman est de retour à Montréal. Son projet C'est avec la couronne que j'ai conclu un traité est une mise en scène qui propose une vision lubrique et ludique par rapport à ce que l'Histoire officielle du Canada évoque d'ordinaire sur les Amérindiens lors de la conquête.

Comme il l'a fait avec ses expositions précédentes, Kent Monkman utilise le personnage excentrique de Miss Chief Eagle Testickle pour appuyer son propos.

La Miss en question est un travesti autochtone à la longue chevelure d'ébène, tout de rouge vêtu - quand il n'est pas entièrement dénudé - avec ses grandes bottes à talons aiguilles provocantes, sa robe à paillettes et son généreux mascara.

Le personnage se retrouve dans les tableaux et les vidéos de l'expo comme symbole d'une présence autochtone qui revendique son droit d'exister et de crier haut et fort ses frustrations.

Dans la plus grande salle, les camps des généraux Wolfe et Montcalm ont été reconstitués avec des tissus fleurdelisés et Union Jack, le son de criquets nocturnes et la respiration de quelqu'un qui dort.

Sur les murs sont placés les tableaux que les peintres officiels ont rendus de cette bataille des plaines d'Abraham de 1759. Ainsi, La mort du général Montcalm, peint par Louis Watteau en 1760, ou la mort de Wolfe, reproduite sur un plateau de service anglais du XIXe.

L'exposition est en effet une juxtaposition de tableaux anciens et d'objets victoriens et amérindiens prêtés par le Musée des beaux-arts et le musée McCord, et d'oeuvres réalisées par Kent Monkman. L'artiste veut ainsi souligner avec malice les différences de perception entre Blancs et autochtones, en fait les oublis iconographiques de l'Histoire canadienne.

Près des tentes, deux tableaux qu'il a peints montrent Miss Chief coupant les cheveux des deux généraux, couchés flambant nus, chacun dans leur tente.

Représentés bien plus jeunes qu'ils n'étaient réellement en 1759, les généraux ont l'air d'Adonis endormis. Miss Chief, en Dalila amérindienne, rompt les pouvoirs des deux militaires en ravageant leur chevelure.

Dans la salle contiguë, l'artiste de 45 ans a réalisé un superbe tableau, qui porte le titre de l'exposition et qui décrit sa vision fantaisiste de la venue en 1860 du prince de Galles, Albert Edward, à Montréal, à l'occasion de l'inauguration du pont Victoria.

La partie droite du tableau comprend la tente des Britanniques, avec les représentants de la reine Victoria et des gendarmes canadiens. Au centre est assis le prince de Galles, mais le portrait qu'en a fait Monkman ne correspond pas à celui qui succéda à Victoria en tant qu'Edward VII, mais à celui du... prince William qui se mariera le mois prochain avec Kate Middleton! Mêmes cheveux blonds, mêmes pommettes rosies, mêmes sourcils délicats et même visage oblong.

Aux pieds princiers dénudés s'est précipitée l'amazone Testickle, presque entièrement nue, pour lui laver les pieds, en signe de pénitence. Une ironie que Kent Monkman illustre avec une Miss Chief au membre viril discrètement tendu sous un linge de soie.

Car Miss Chief n'est pas en punition, au contraire. L'autochtone exubérante jouit de ce moment, une sorte de victoire sur la couronne. Un gendarme la tire par un bras, mais le prince, troublé, tente d'atténuer le zèle de l'officier.

«J'ai toujours été fasciné de voir comment les musées ont officiellement montré les autochtones, dit Kent Monkman. Mon travail cherche à étudier les relations qu'ont eues les autochtones avec les Français puis les Anglais, et comment les traités ont été considérés.»

L'interprétation des traités est le thème de Mary, l'une des vidéos de l'exposition. Il s'agit en quelque sorte de la suite du tableau précédent. Miss Chief se retrouve seule dans une pièce, de nos jours, avec un «prince de Galles». Elle le déchausse. Sur l'écran apparaît en anglais «J'étais d'accord pour partager, pas pour capituler.»

Puis, elle effleure le pied princier. L'homme jouit en serrant le poing sur son fauteuil. «Comment avez-vous pu briser votre promesse?» Guerrière, Miss Chief regarde le prince de ses yeux perçants et déterminés. La vidéo s'achève avec un texte où Kent Monkman redit que les traités signés entre Blancs et Indiens évoquaient «un partage du territoire» et non un abandon de ce territoire.

L'exposition propose plusieurs autres vidéos, plus anciennes, sur le même thème. Avec beaucoup d'humour et en utilisant différents aspects de la culture homosexuelle, Kent Monkman évoque le drame vécu par les Premières Nations, notamment en inversant les rôles dans un film muet. C'est l'autochtone qui soûle les deux jeunes hommes blancs avant d'abuser d'eux.

C'est avec la couronne que j'ai conclu un traité, un projet de Kent Monkman, à la Galerie Leonard&Bina Ellen (Université Concordia) jusqu'au 16 avril.