On les appelle les trois grâces, les trois déesses ou encore les Charlie's Angels de l'art contemporain. Elles ont 30 ans et des poussières, sont bardées de diplômes en histoire de l'art et en muséologie. Cultivées, dynamiques et très branchées sur l'art contemporain, elles gèrent, chacune dans son institution, trois des plus importantes collections d'oeuvres d'art contemporain du Québec.

Grâce à Jo-Ann Kane, à Anne-Claude Bacon et à Marie-Justine Snider, les employés de la Banque Nationale, d'Hydro-Québec et de la Caisse de dépôt et placement du Québec côtoient tous les jours une murale de Jean-Paul Mousseau, un tableau de Jean Paul Riopelle, une sculpture de Charles Daudelin, une huile sur toile de Marc Séguin ou une installation inusitée de Guy Pellerin. Ces trois conservatrices de Montréal disposent chacune d'un budget annuel d'environ 200 000 $ pour acquérir des oeuvres, une somme modeste, mais qui fait l'envie des conservateurs de plusieurs musées.

Des galeries jusqu'aux musées en passant par les ateliers des artistes, le nom de ces trois jeunes conservatrices inspire le respect, notamment parce qu'elles ne cèdent jamais à la facilité et font toujours primer l'art et la recherche sur le commerce. «Ce sont trois battantes qui sont passionnées par la culture et qui l'appuient avec intelligence et discernement», estime Stéphane Aquin, conservateur en art contemporain au MBAM, ajoutant: «Il y a un côté exemplaire dans leur démarche, dans la mesure où elles n'achètent pas n'importe quoi et se soucient toujours des normes de qualité.»

Pour Alain Lacoursière, expert en évaluation d'art, ces trois femmes sont la crème en matière de conservation de l'art contemporain. «En achetant l'oeuvre d'un artiste en galerie, elles donnent le ton et font souvent la différence dans la carrière de l'artiste et de sa galerie.» Jeanie Riddle, directrice de la galerie Parisian Laundry, abonde dans son sens. «Parce qu'elles ont une vision, du flair, de l'audace, une grande ouverture d'esprit et un oeil sûr pour l'art, elles donnent du poids et de la crédibilité aux artistes, et une grande valeur d'investissement à leurs oeuvres.»

Les trois conservatrices ont fait leurs classes à Hydro-Québec, qui possède une des plus vieilles collections d'art contemporain en entreprise. Jo-Ann Kane a ouvert la voie en 1997 et fait la preuve de l'importance de bâtir une collection cohérente en entreprise, pour l'investissement, mais aussi pour la démocratisation de l'art et la sensibilisation des employés à la diversité de la création. Les trois conservatrices se rapportent à un comité d'acquisition à qui elles présentent de nouvelles oeuvres deux fois par année. Elles n'ont pas le droit de vote, mais leur culture et leur force de persuasion font qu'habituellement le comité approuve leurs choix.

À Montréal, une ville où les collectionneurs privés sont moins nombreux qu'à Toronto, les collections d'entreprise jouent un rôle primordial dans la préservation du patrimoine artistique, mais aussi dans la survie et l'évolution de l'art contemporain. Et quand ces collections se retrouvent entre les mains de trois jeunes femmes dynamiques et passionnées, autant dire que l'art contemporain d'ici semble promis à un bel avenir.