Un sculpteur hybride est né. Même s'il crée de ses mains depuis 10 ans, Guillaume Lachapelle a atteint un niveau de qualité et de précision, cette année, à la fois issu de son génie et de l'apport de la machine. Innovateur, il combine design sur ordinateur et réalisation sur imprimante 3D pour enfanter des oeuvres miniatures superbes à la fois ludiques et lucides.

Diamant de la sculpture architecturale, Guillaume Lachapelle brille de mille éclats. L'an dernier, une de ses oeuvres a été placée dans le parc Belmont. Protégé de la galerie Art Mûr, il vient d'obtenir du Conseil des arts du Canada une résidence internationale en arts visuels à Berlin. Mais c'est surtout son exposition Machinations qui a frappé fort, témoignant d'une nouvelle génétique de l'art où le talent créatif s'unit à la machine.

Mais comment l'Estrien en est-il arrivé là? Jeune, il se destinait au génie mécanique. Mais il a plutôt opté pour un DEC en arts plastiques à Sherbrooke. «Je m'intéressais aux autos, j'en dessinais, mais quand j'ai fait de la conception de pièces, j'ai senti que ce n'était pas ma place, dit Guillaume Lachapelle. Je suis allé faire un DEC en arts puis un bac en arts visuels à l'UQAM. Là, j'ai fait du dessin, de la peinture, de la sculpture. J'ai commencé à transformer des images sur plastique thermoformé.»

Guillaume Lachapelle a vite senti une attirance pour la sculpture, créant de ses mains avec du métal, du bois, du plâtre, des résines et des polymères. Puis il est passé à la création moulée et assemblée. Il a exposé au centre d'exposition Circa, chez Edward Day, à Toronto, à Carleton, en Gaspésie, et plusieurs fois à Art Mûr.

Mais depuis un an, son travail a pris un tour nouveau avec l'utilisation d'une technique qui consiste à créer sur ordinateur (avec le logiciel SketchUp) des croquis en 3D qui deviennent des maquettes miniatures grâce à une imprimante en trois dimensions. C'est en parcourant le magazine Gizmag consacré aux nouvelles technologies qu'il a découvert cette technique.

«J'étais étonné et je me suis dit que, comme je faisais déjà des miniatures, je pourrais faire des sculptures avec ça, dit-il. Le département des arts de Concordia a maintenant une telle machine. Il s'agit d'une technique où, par exemple, le nylon est déposé par couches pour prendre la forme désirée puis il est fusionné au laser, millimètre par millimètre.»

Le résultat de couleur blanchâtre est si détaillé qu'on a du mal à imaginer le même objet créé à la main. Plusieurs de ces oeuvres ont été exposées cet automne à Art Mûr, recréant un univers ludique, magique et lucide. On peut en voir plusieurs sur le site de la galerie, www.artmur.com.

Machinations

L'expo Machinations a eu beaucoup de succès. Les oeuvres ont l'air de jouets. Ici, un carrousel, là, un curieux véhicule sur roulettes composé d'une tête de cheval mort. «Quelque chose rappelle le jouet dans ce projet, en effet, dit-il. Mais s'y ajoute une note un peu plus obscure. C'est avec ce contraste que je joue, comme s'il y avait un contenu dans la symbolique. La fantaisie que l'on voit est compromise par des éléments plus sombres.»

Ainsi, Carrousel, oeuvre créée sur deux niveaux, développe un langage social, voire politique. «Au-dessus, c'est la première classe sociale qui conduit des têtes de chevaux morts et en dessous, les chaises roulantes sont la force motrice du carrousel. C'est l'exploitation des faibles, une métaphore de la société.»

Toujours en miniature, la chaise roulante, les urinoirs, les cuvettes de toilettes sont des éléments qui reviennent souvent dans ses compositions. «Parfois, les objets deviennent un symbole et donnent une métaphore des relations, dit-il. Par exemple, la chaise roulante, il ne faut pas la voir comme expression des personnes handicapées mais plutôt comme symbolique des difficultés des relations entre les gens.»

Photo: Alain Roberge, La Presse

Son oeuvre où la tête est remplacée par un urinoir fait penser à l'Homme à tête de chou, de Serge Gainsbourg. «L'urinoir, c'est le truc qu'on ne veut pas voir, dit-il. Le réceptacle des choses négatives.»

Des livres

Plusieurs des créations de Guillaume Lachapelle sont aussi constituées de rayons de livres. Dans l'une d'entre elles, Le piège, un balcon est emboîté dans la petite bibliothèque murale et la porte mène à une chaise de torture. Signification? «Plus on en sait et plus on est coincé dans notre tête, dit Guillaume. Il y a comme une déception qui vient avec le fait de savoir.»

Deux de ses oeuvres «bibliothécaires» sont fascinantes: elles pénètrent littéralement dans le mur de la galerie au sein duquel elles sont encastrées. Par exemple, pour Fissure, c'est comme si les rayons de livres partaient vers l'infiniment petit à l'intérieur du mur. «Pour cette oeuvre, on peut exprimer qu'on entre dans la connaissance et qu'on s'en va vers l'obscurité, mais d'autres estiment que cette fissure est confortable et représente ce cocon culturel dans lequel on se sent bien.»

D'où vient cette fascination pour le miniature? «C'est un attrait naturel. J'aime la finesse des détails.»

Berlin

Âgé de 36 ans, Guillaume Lachapelle va dans quelques jours poursuivre à Berlin son expérimentation de la modélisation. Il doit aussi achever trois créations pour lesquelles il a été retenu dans le cadre d'invitations. Il livrera ce printemps une oeuvre destinée à la nouvelle bibliothèque familiale Père-Ambroise, dans le quartier Centre-Sud.

Prenant du recul, il a conscience d'être entré cette année dans un nouveau cycle créatif. «Deux mille dix a été une année occupée pour moi. Sur le plan de la production, c'est un changement important, peut-être le plus important depuis les 10 dernières années. Mais il se peut que je revienne à la sculpture à la main. On verra. La notoriété et la reconnaissance ne sont pas un besoin, mais cela permet de continuer à travailler.»

Photo: Alain Roberge, La Presse