Onze kilomètres, deux cents ans d'histoire, une place à part dans l'inconscient montréalais. La rue Sainte-Catherine a enfin son livre et son exposition.

Du sud au nord, il y a le boulevard Saint-Laurent, premier couloir de l'immigration à Montréal. De l'est à l'ouest, il y a Sainte-Catherine, grande artère commerciale du centre-ville. La première est depuis longtemps reconnue comme un axe fondateur de l'histoire montréalaise. La seconde a été plus largement ignorée, en dépit de sa fréquentation soutenue et de son importance capitale depuis plus de 200 ans.

Il était grand temps de lui rendre justice. Et c'est pourquoi le musée Pointe-à-Callière lui consacre une exposition, ainsi qu'un livre écrit par l'historien Paul-André Linteau.

Sujet facile. En apparence. Sainte-Catherine évoque d'emblée les vitrines illuminées, les enseignes à répétition et les consommateurs effrénés. Mais cette image de néons clignotants n'est qu'une fraction d'une identité autrement plus complexe, affirme Anne-Élizabeth Thibault, responsable de l'exposition La rue Sainte-Catherine fait la Une!, qui sera présentée jusqu'en avril.

«Sainte-Catherine ne fut pas simplement une rue commerciale. C'est une rue très diversifiée, qui a touché plusieurs aspects de la vie montréalaise. Les magasins, oui. Mais aussi la culture, le divertissement, les universités, les édifices à bureaux, le red light, le résidentiel, le transport en commun et le sport.»

Comment relier toutes ces facettes en un tout? C'était là tout le défi. Mme Thibault et son équipe ont finalement choisi de fragmenter l'expo en une demi-douzaine de «zones», chacune étant consacrée aux différents aspects de cette rue longue de 11 kilomètres, à l'aide de photos anciennes, d'objets significatifs et d'éloquents films d'archives.

Parmi les moments forts, on mentionnera des clips de la mythique salle à manger de chez Eaton's, des artefacts de l'ancien Forum, des clichés de la légendaire effeuilleuse Lili St-Cyr, des robes en dentelle de chez Morgan, de vieilles pubs de Dupuis Frères et des costumes pour le théâtre conçus par le peintre Alfred Pellan. Sainte-Catherine étant la rue de tous les Montréalais, le tout se termine par un espace interactif, où le visiteur peut émettre son point de vue sur l'avenir de la rue.

Du village au «Village»

Comment Sainte-Catherine est-elle devenue «Sainte-Cat»? Nul ne le sait exactement. Au commencement étaient des champs. Puis apparurent des maisons. Puis une rue de service pour les habitants de ce coin encore peu fréquenté. Rappelons que le Vieux-Montréal faisait alors office de centre-ville. Mais avec la migration progressive des Montréalais vers le nord, l'activité s'est peu à peu déplacée vers Sainte-Catherine.

«C'est l'arrivée du magasin Morgan en 1891 qui a tout changé et donné une véritable vocation commerciale à la rue», souligne Paul-André Linteau. Bientôt, la mode des grands magasins envahit Sainte-Catherine, d'Ogilvy à Dupuis Frères, en passant par Eatons, et Simpson's. Croissance exponentielle à laquelle s'ajouteront des manufactures, les premiers édifices à bureaux (dès les années 20) qui culmineront avec Place Ville-Marie, sans oublier les théâtres (National, Comédie canadienne), les cabarets (Casa Loma, Gayety), la Place des Arts (1963), les nombreux cinémas (Princess, Loews, Elektra) et le bon vieux Forum (1926) qui lui permettront d'étendre ses heures d'activité. Pour les Montréalais, Sainte-Catherine est désormais l'incontournable coeur de la ville, et cela jour et nuit.

Cet âge d'or va durer jusqu'à la fin des années 70. Mais avec le boom des centres commerciaux, la fermeture des manufactures et les crises économiques successives, Sainte-Catherine amorce un lent déclin qui ne cessera qu'au milieu des années 90, avec l'ouverture de magasins spécialisés axés sur la mode (Parasuco, Simons, Ailes de la mode) et l'éclosion du Village gai.

Côté culturel, les grands festivals et les salles de spectacles en ébullition (Spectrum, Métropolis, Foufounes électriques) compenseront pour la fermeture en rafale de plusieurs cinémas de la grande époque.

Un espace citoyen

Hormis Birks, La Baie, Ogilvy et quelques autres, bien peu reste de ce passé glorieux. Quant à l'extrême-est de l'artère (Hochelaga-Maisonneuve), il fait aujourd'hui pitié à voir. Mais Sainte-Catherine, réinventée, n'en continue pas moins d'exercer un fort pouvoir d'attraction auprès de l'homo-consommatus.

«Elle n'est peut-être plus la rue incontournable qu'elle fut un jour, admet Paul-André Linteau. Mais on y trouve encore des choses qu'on ne trouve pas ailleurs. Pour les visiteurs et de nombreux Montréalais qui vivent près du centre-ville, elle reste un endroit commode où l'on trouve de tout.»

Faut-il conclure à un avenir prometteur? Anne-Élizabeth Thibault n'en doute pas. Au-delà des néons, des creux de vagues et des périodes de transition, Sainte-Catherine sera toujours avant tout un haut lieu de l'expression montréalaise, qu'il s'agisse de marches pour la paix, de défilés du père Noël ou de «parades» de la Coupe Grey.

«Sainte-Catherine devrait rester au coeur de l'événement», conclut Mme Thibault. C'est la rue de toutes les manifestations. Honnêtement, je ne vois pas de fin à cet espace citoyen...»

La rue Sainte-Catherine fait la Une! au musée Pointe-à-Callière, du 7 décembre 2010 au 24 avril 2011.