La fondation Émile-Nelligan a remis, hier au Musée d'art contemporain de Montréal, le prix Ozias-Leduc 2010 à l'artiste conceptuel Raymond Gervais «pour l'ensemble de son oeuvre». Un hommage à la modernité puisque Raymond Gervais a délaissé l'académisme pour des voies parallèles moins souvent célébrées.

Peu connu du grand public, mais réputé sur la scène canadienne de l'art conceptuel pour ses oeuvres alliant installation, vidéo et performance, Raymond Gervais a été choisi par un jury présidé par Gaëtane Verna, directrice générale et conservatrice en chef du Musée d'art de Joliette.

«Raymond Gervais s'est intéressé à travailler sur le sonore avant l'heure, a dit Mme Verna à La Presse. Il a une pratique soutenue depuis les années 70, mais trop ignorée pendant longtemps. Quand on regarde le rayonnement de sa carrière, nous nous sommes dit qu'il était temps de l'honorer.»

Il s'agit en effet du premier prix que reçoit Raymond Gervais, un hommage qui lui fait très plaisir. «Comme artiste, je ne pense jamais aux prix, dit-il. Quand j'ai eu l'appel, je croyais que c'était une blague! C'est une joie que des gens nous choisissent, reconnaissent une démarche et rendent mon travail plus visible.»

Âgé de 64 ans, il a participé au courant de l'art conceptuel issu de l'avant-gardisme, de l'humanisme et de la libération sexuelle des années 60. Amateur de musique, il s'est servi de sa passion comme le sculpteur de son argile. Autodidacte, il explique que cet amour pour le son et la musique est devenu l'axe central de sa pratique:

«Ça vient de ma fascination, adolescent, pour la magie de la musique, puis pour le monde des disques, dit-il. Les gens qui m'ont connu dans les années 60-70 m'associent tous à la musique, car j'organisais, avec d'autres, des concerts de musique d'avant-garde, alors que tout à coup, je suis devenu un artiste visuel! J'ai été disquaire. Les pochettes de disque sont des oeuvres d'art, des conceptions visuelles souvent très audacieuses.»

Grâce à des installations et des performances, il étudie comment la musique «charrie tout un pan de l'histoire des arts visuels» et comment se font les relations entre les images et les mots. Plusieurs de ses oeuvres sont inspirées de créateurs, scientifiques comme Thomas Edison ou Charles Cros, ou de compositeurs, comme Claude Debussy. «J'aime comment il marie l'histoire de la musique, les artistes, les musiciens, dit Gaëtane Verna. C'est de l'art visuel, mais aussi de la poésie.»

Parmi ses installations, citons Re: Henri Rousseau, le tourne-disque et la recréation du monde, en 1987, Piano pour Samuel Beckett, en 1989, En attendant Beckett, en 1995, Claude Debussy regarde l'Amérique, en 1990, Poème de l'air (d'après Marina Tsvétaeva), en 1998.

«L'art n'est pas obligé d'être facile, il doit aussi nous faire penser, nous laisser porter par le travail de l'artiste, nous mettre dans un état de rêverie, dit Gaëtane Verna. Et dans le travail de Raymond Gervais, il y a vraiment cet élément-là. J'aime beaucoup le fait qu'il s'intéresse à des inventeurs ou à des poètes antiques.»

Rétrospective

L'artiste travaille actuellement à la préparation d'une exposition qui sera un survol de son travail. Elle sera présentée à l'université Concordia l'automne prochain et au début 2012 au centre Vox, dans le nouvel édifice 2-22, au coin de Sainte-Catherine et Saint-Laurent. Il fera prochainement partie de l'exposition Trafic Conceptual Art in Canada 1965-1980 qui sera présentée dans plusieurs villes du Canada, dont Montréal, aux côtés d'artistes comme Bill Vazan, Françoise Sullivan ou Suzy Lake.

Pour l'instant, il n'a pas de site internet pour présenter ses oeuvres, mais on peut les admirer au Musée d'art contemporain de Montréal, au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, au Musée des beaux-arts de Montréal, à l'Art Gallery d'Hamilton, au Musée des Beaux-arts de l'Ontario et au Musée d'art de Joliette.

Dans son discours, Raymond Gervais a rendu hommage à sa femme, la critique d'art et commissaire Chantal Pontbriand. «À Chantal, je dois tout, a-t-il déclaré. Sa vision, son exemple, son courage, sa ténacité, son incroyable capacité de travail et de don de soi m'ont inspiré et stimulé et demeurent une référence constante pour moi.»

Diversifié, le jury du prix Ozias-Leduc 2010 était composé de Marie-Michèle Cron, conseillère culturelle en arts visuels au Conseil des arts de Montréal, Gianguido Fucito, évaluateur d'oeuvres d'art, Sylvie Gilbert, directrice générale d'Artexte, et Michèle Thériault, directrice de la Galerie Leonard et Bina Ellen.

Ce prix qui porte le nom du maître de Paul-Émile Borduas est assorti d'une bourse de 25 000 $. La fondation Émile-Nelligan, créée en 1979 par Gilles Corbeil, neveu d'Émile Nelligan, remet ce prix tous les trois ans. Il a déjà été attribué à Roland Poulin (1992), Jana Sterbak (1995), Rober Racine (1998), Massimo Guerrera (2001), Guy Pellerin (2004) et Serge Murphy (2007).