Depuis hier, soir de vernissage, jusqu'au 1er avril prochain, une exposition des oeuvres picturales de Gilles Carle se tient au Marché Bonsecours, dans le Vieux-Montréal: pas moins de 400 tableaux et dessins, de même que des dizaines de photos, toutes signées Carle, rendent compte de l'intérêt constant du cinéaste pour l'art pictural. Mais surtout de l'amour infini qui l'unissait à Chloé Sainte-Marie.

L'exposition est intitulée Parce que c'est lui, mais c'est parce qu'il s'agit d'elle et lui, de Chloé et de Gilles - mort il y a presque un an jour pour jour - que cette rétrospective est singulièrement émouvante et intime. «J'ai besoin de dire notre amour maintenant qu'il n'est plus là, explique Chloé Sainte-Marie. J'ai besoin de le montrer pour le perpétuer. Je ne sais pas pourquoi, mais cela me fait du bien, faire de notre amour au quotidien un objet d'art. Ce n'est pas moi que je vois dans les photos, c'est lui: je vois son regard, son amour...»

Les visiteurs verront aussi bien d'autres choses, notamment des aquarelles inspirées de la nature, des autoportraits au feutre, des caricatures souriantes d'amis (Hubert Reeves, Jim Corcoran, Willie Lamothe...), des peintures inspirées de Picasso, de Pellan, de Riopelle, de Fernand Léger et d'autres («c'était un faussaire extraordinaire!»), des acryliques abstraites, des animaux qui parlent...

Mais aussi beaucoup d'oeuvres nées de son amour et de son observation de Chloé, alias Marie-Aline (le vrai nom de la chanteuse) et Marie, pendant leurs 29 ans de vie commune.

«Ce n'est pas la première exposition qui lui est consacrée, précise la chanteuse aux cheveux rouges, mais c'est la première fois que je montre une centaine de photos et de dessins avec moi pour modèle. Il tenait à cette exposition, je le sais. Et c'est parfois très drôle: dans Chloé dans la tempête par exemple, on me voit chercher mon rouge à lèvres comme s'il s'agissait d'un drame!»

Impossible aussi de ne pas être frappé par l'érotisme des photos, de certains dessins: «Avec moi, il a plus dessiné et fait des photos que filmé, explique celle qui avait 33 ans de moins que son amoureux. C'était plus difficile dans les 20 dernières années de tourner des films, alors on jouait ensemble, on se déguisait, on se faisait notre cinéma...»

Archiviste de l'UQAM

Pour tout classer et trier, l'Université du Québec à Montréal a prêté un archiviste. Mais c'est d'abord la recherchiste de Gilles Carle, Pascale Bilodeau, qui a tout recueilli au moment du tournage de l'«autobiofilmographie» Moi, j'me fais mon cinéma (dernier film de Carle, tourné en 1999) et fait remarquer à Chloé Sainte-Marie que ce travail pictural était vraiment intéressant: «Gilles disait toujours qu'on voit la richesse dans la maison au nombre de crayons qui s'y trouvent, dit cette dernière. Chez nous, il y avait des centaines de crayons feutres, de crayons de couleur et de tubes d'acrylique. Gilles adorait les matières rapides, l'instantanéité, la spontanéité des feutres. Des fois, il dessinait simplement avec une plume Pilot Fine Liner et du Liquid Paper. Quasiment toutes les semaines, on allait chez Omer DeSerres se ravitailler...»

Chloé Sainte-Marie évoque bien sûr ici les années avant que la maladie de Parkinson ne s'attaque à son amoureux: le diagnostic était tombé en 1991.

Les fans du cinéaste pourront établir des parallèles entre ses diverses «périodes» picturales et les films qu'il tournait: les oeuvres consacrées à la nature et aux animaux ont ainsi été conçues pendant les années 70, quand Carle tournait La vraie nature de Bernadette et Les mâles. Pour mieux saisir ces parallèles et comprendre l'intérêt de cette oeuvre, l'exposition est accompagnée d'un catalogue, établi par François-Marc Gagnon. Un beau coffret contenant une partie des photos de Carle est également offert.

Mais c'est d'abord pour voir un grand amour accroché aux murs du Marché Bonsecours qu'on ira voir cette exposition (qui se promènera ensuite pendant quatre ans): «Il y en a qui construisent des maisons par amour, Gilles, lui, m'a fait des dessins, des photos, conclut Chloé Sainte-Marie. Je redécouvre notre vie à travers eux. Et je l'aime plus encore.»

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Exposition Parce que c'est lui, oeuvre picturale de Gilles Carle, au Marché Bonsecours, jusqu'au 1er avril.