Devant ses images panoramiques en noir et blanc, on croit avoir affaire à un pionnier de la photo, un ami d'Eugene Atget. Mais Geoffrey James est bien un artiste contemporain. La rétrospective organisée par le Musée des beaux-arts du Canada en 2008 est de passage au Musée d'art de Joliette jusqu'en janvier. Une occasion unique de faire connaissance avec l'un des artistes de la photo les plus en vue sur la scène internationale. Ou de le redécouvrir.

Pourquoi les photographies de Geoffrey James, souvent deux à trois fois plus larges que hautes, sont-elles si précises jusque dans leurs moindres détails? Comment expliquer leur effet d'envoûtement sur le visiteur?

Qu'il s'agisse des merveilleux jardins d'Italie ou des tristes mines d'amiante de Thetford, au Québec, Geoffrey James étudie son sujet à fond - il «marche» les lieux, s'intéresse à leur histoire et à celle des communautés qui y vivent - avant de choisir l'endroit d'où il prendra ses photos. Il lui faut déterminer le moment de la journée où la lumière sera la plus intéressante pour le résultat qu'il veut obtenir. Puis il prendra ses photos avec un appareil bien spécial, un Kodak Panoram à objectif pivotant qui imprime lentement l'image sur une pellicule courbée et demande beaucoup de patience, comme les premiers appareils photo. Les épreuves des photos en noir et blanc sont développées à la gélatine argentique. Nous ne sommes pas devant des photos documentaires, mais devant une réflexion pour ainsi dire philosophique.

Utopie/Dystopie - c'est le titre de l'exposition - regroupe une centaine d'oeuvres représentant trente années de travail. Utopie pour les paysages de jardins anciens, ou les photos d'arbres isolés qui semblent avoir, chacun, une personnalité originale; dystopie pour les paysages ravagés par le développement urbain et autres initiatives d'exploitation plus ou moins réfléchies. Entre les deux, des monuments, édifices ou paysages anciens balafrés par l'intrusion de la modernité, sous forme de stationnement dans les aménagements paysagers de l'architecte Olmsted, par exemple, ou de publicité sur un pilier du Pont-Neuf, à Paris.

La grande majorité des photos exposées sont en noir et blanc, mais à la fin du parcours, la couleur fait soudainement son apparition pour un ensemble concernant la création de nouveaux quartiers dans le grand Toronto, «le sujet étant fondamentalement vulgaire...», il convient mieux à la couleur, est-il écrit sur une affichette.

Chaque photo est ainsi accompagnée de son histoire. Rappelons que Geoffrey James, né en 1942 au pays de Galles, journaliste de Montréal dans une vie antérieure, a surtout fait des photographies destinées à ses propres publications, des livres d'art d'une grande beauté. Il est tout autant diplômé en art qu'en histoire.

Il y a dans l'exposition une séquence de photos très révélatrices d'une situation historique qui pourrait s'amplifier dans les années à venir. Il s'agit de la Clôture fuyante, celle qui divise San Diego, aux États-Unis, de Tijuana au Mexique, sur 23 kilomètres de distance. Les matériaux utilisés pour construire cette frontière sont des matériaux pauvres: tôles usagées, broche à foin, planches de contreplaqué... L'artiste se dit frappé par cette «formidable incongruité... construite par l'unique superpuissance au monde.»

«En tant qu'obstacle, écrit-il, cette clôture est tout à fait inutile. J'ai vu des enfants grimper par dessus ou passer à travers pour aller chercher leur ballon de football. Cet endroit est tellement transparent - on comprend bien toutes les forces économiques qui sont à l'oeuvre ici...» C'est à ce genre de réflexion qu'il faut vous attendre en visitant cette exposition d'envergure consacrée à Geoffrey James.

Geoffrey James, Utopie/Dystopie, jusqu'au 2 janvier au Musée d'art de Joliette (145, rue du Père-Wilfrid-Corbeil). Ouvert du mardi au dimanche de 12h à 17h. Entrée: 10$ (adultes).