Figure discrète du monde des arts visuels et des arts de la rue, Danielle Roy a signé des dizaines de mises en scène, dessiné des affiches et imaginé plusieurs opéras urbains, mais elle n'avait jamais exposé ses oeuvres. C'est maintenant chose faite.

Dimanche prochain sur la place Émilie-Gamelin, à l'occasion de la Journée mondiale du refus de la misère, les toiles de Danielle Roy mettant en vedette des sans-abri défileront avec eux, dans un audacieux défilé de la nature... humaine.

«Il faut que la peinture, qui a si souvent sommeillé dans des mausolées dorés et des cercueils de verre, sorte prendre l'air, fume une cigarette, boive une bière. Il faut l'ébouriffer, lui faire faire un tour à vélo, ou dans un taxi avec une fille.»

Ces écrits ne sont pas de Danielle Roy mais du Suédois Claes Oldenburg, un artiste du pop art qu'elle admire et qui l'a beaucoup influencée.

«J'aimerais que dans les années à venir, tous les objets surdimensionnés que j'ai créés pour les opéras urbains soient considérés comme des oeuvres en soi, comme le sont les gâteaux, les truelles et les balles de pool géantes de Claes Oldenburg», dit-elle de sa voix douce au milieu de la galerie Art Mûr, une galerie d'art contemporain située rue Saint-Hubert. Ces propos et la détermination qui les sous-tend, prononcés par une femme discrète et qui en apparence travaille dans l'ombre de son illustre mari, Gilbert Rozon, peuvent étonner. Mais avec Danielle Roy, les apparences sont souvent trompeuses.

Pas très grande, un air fragile de poupée nourri par des vêtements qui semblent tout droit sortis d'un atelier de costumes de théâtre, des cheveux qui hésitent entre l'incendie et le carmin profond, Danielle Roy dégage un parfum de mystère qu'elle ne cherche pas à dissiper. Chez elle, les jardins secrets abondent et forment un parc intérieur luxuriant et parfaitement à l'abri des regards indiscrets. À cet égard, elle est la complète antithèse de son mari, hyperactif notoire, monument d'exubérance et d'opiniâtré qui recherche autant les feux des projecteurs qu'elle semble les fuir.

Artiste dans l'âme

Il reste que même si elle vit avec Gilbert Rozon depuis plus de 30 ans et qu'elle est la mère de leurs trois fils, Danielle Roy n'a rien du cliché de la femme au foyer qui dépend de son mari pour vivre et qui fait de l'art pour se distraire. C'est une artiste dans l'âme, qui a dessiné pendant toute son enfance à Cartierville et qui, en rencontrant le grand cinéaste d'animation Norman McLaren, a voulu faire de l'animation comme lui. C'est son père, Jean Roy, caméraman et réalisateur à l'ONF, qui le lui a présenté. «J'adorais aller à l'ONF avec mon père, raconte-t-elle, et je le suppliais de me présenter McLaren, qui rasait les murs et qui devait bien se demander ce que je lui voulais.»

Inspirée par ce maître de l'animation, Danielle Roy a fait ses classes à l'ONF et au studio de l'animateur Gerald Potteron, avec qui elle a réalisé des clips pour les Jeux olympiques de 1976, à l'époque où il n'y avait ni ordinateurs ni images de synthèse et où tous les calculs graphiques se faisaient à la main. Après des études en graphisme au cégep du Vieux-Montréal, Roy se lance en design graphique, travaille pour plusieurs agences avant de lancer sa propre boîte en 1983.

C'est à cette époque qu'elle rencontre un certain Gilbert Rozon, qui se remet à peine d'une faillite de 1 million et qui veut déjà repartir en affaires avec un festival de l'humour auquel personne ne croit. Qu'à cela ne tienne. Le jour où Rozon réussit à convaincre Charles Trenet de remonter sur scène à Montréal, le vent tourne en sa faveur. Rozon commande à la future mère de ses enfants une affiche pour le retour de Trenet sur scène. Elle lui présente un dessin tout simple, mais d'une redoutable efficacité où la tête de Trenet est un soleil et sa bouche, un croissant de lune, le tout sur fond bleu éclatant.

L'affiche remportera plusieurs prix internationaux et fera de Danielle Roy une étoile montante dans le monde du design. Quelques années plus tard, elle séjourne au studio du Québec à New York et fait un stage de six mois avec Milton Glaser, le grand graphiste qui a créé une foule de logos dont le fameux I love New York. Et subitement, au contact de ce grand maître, Danielle Roy se rend compte que le design, surtout le design commercial, l'intéresse moins que l'art.

De retour à Montréal, elle travaille avec l'affichiste Vittorio et anime le petit bonhomme vert qu'il a créé pour Juste pour rire. Puis, l'animatrice d'images se tourne vers la rue et crée le volet des arts de la rue de Juste pour rire, à une époque où le théâtre de rue est en plein essor.

Son premier fils Charles naît en 1990. Suivront Edouard, en 1993, et Arthur, en 1996, trois noms de rois pour des garçons qui seront scrupuleusement gardés dans l'ombre et ne feront l'objet d'aucune photo de famille dans Écho Vedettes. Les photos pour la galerie, ce n'est pas le genre de ce couple atypique qu'elle forme avec son pdg de mari et qui résistera aux plus grandes épreuves, y compris la condamnation de Rozon pour agression sexuelle sur une jeune femme de 19 ans en 1998.

L'art de l'opéra urbain

Quand Danielle Roy raconte son parcours, elle évite d'évoquer ces années de tourmente et saute directement à l'an 2000, moment où elle quitte Montréal pour aller travailler avec Franco Dragone à la Louvière, en Belgique. Dans le laboratoire de la Louvière, où Dragone implante une unité de production d'événements, Danielle Roy rencontre Luc Petit et s'initie à l'art de l'opéra urbain. Les deux collaboreront au spectacle d'ouverture d'Euro Disney et à l'inauguration du plus grand ascenseur à bateaux à Strépy, en Belgique, avant de concevoir le Grand Charivari pour Montréal. En 2003, Danielle Roy s'installe à Paris avec ses fils. C'est en se promenant dans le bois de Boulogne et en y découvrant ses sans-abri qu'elle conçoit le projet La nature croît en moi, où des dessins de fleurs sont juxtaposés à des photos de sans-abri puis intégrés dans un tableau. À Paris, Danielle Roy a peint une trentaine de toiles selon cette technique.

Face à ces toiles où réalisme et rêverie se mêlent, l'effet est toujours le même: le regard, attiré par les fleurs, ne peut subitement plus fuir la misère qui fleurit devant lui. Fidèle à son âme d'artiste interventionniste, Danielle Roy a poursuivi l'aventure de La nature croît en moi sur le parvis du Palais de Tokyo à Paris où des sans-abri ont défilé avec ses toiles. Reste qu'au-delà du message de tolérance qui se dégage des oeuvres, une question demeure: pourquoi cette artiste privilégiée, qui vit dans une magnifique maison à Outremont et qui n'a jamais connu le froid ou la faim, est-elle tant attirée par la misère humaine? Par culpabilité? Certainement pas, répond Danielle Roy. «À Paris, j'ai été frappée par le nombre élevé d'itinérants. Ils sont tolérés, mais en même temps, ils sont transparents. On ne les voit pas, on ne veut pas les voir et ça me désole parce que les itinérants sont des êtres humains comme les autres. Ils méritent notre regard et notre considération autant que les fleurs.»

Dimanche prochain à la place Émilie-Gamelin, Danielle Roy fera ce qui la passionne comme artiste. Elle interviendra à nouveau dans le paysage urbain comme la fée des fleurs ou mieux encore: comme une Dame Nature, préoccupée avant tout par la nature... humaine.

Danielle Roy expose ses oeuvres à la galerie Art Mûr (à l'étage) jusqu'au 23 octobre.