Richard Purdy, grand maître des installations, a promis d'attirer le grand public à l'Espace Shawinigan cet été. Il a pris les grands moyens pour nous entraîner à sa suite dans une oeuvre immense qui séduit et déconcerte à la fois, et dans laquelle on entre les pieds dans l'eau.

Il faut en effet retirer ses chaussures pour entrer pieds nus dans les trois installations aménagées par Purdy dans l'ancienne aluminerie Alcan. On peut aussi mettre des bottes fournies sur place si on a trop peur de se mouiller dans l'art. Les trois installations de l'exposition intitulée L'écho-l'eau baignent dans quelques centimètres d'eau recouvrant un plancher de toile noire, ce qui donne à l'ensemble une profondeur inquiétante, mais illusoire.

La première salle («Unrestored») représente un couloir de musée d'art où 709 tableaux sont accrochés aux murs les uns au-dessus des autres. Les murs sont installés de manière à tendre vers un point de fuite et donnent l'illusion d'être d'une longueur interminable. Tous les tableaux sont accrochés à l'envers, la tête en bas. Ils sont à l'endroit dans leur reflet sur l'eau.

«Je les ai tous faits moi-même, ou presque», explique l'artiste originaire d'Ottawa, qui vit au Québec depuis plus de 30 ans et qui enseigne à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Les 709 tableaux en tous genres évoquent ceux que l'on pouvait trouver dans les salons à la fin du XIXe siècle, à l'époque où l'usine a été construite - portraits, scènes marines, natures mortes, scènes exotiques... «Je les ai faits moi-même, mais j'ai mis plus de temps à trouver les cadres», ajoute-t-il en expliquant comment il s'y est pris pour donner à certains encadrements une allure vieillie. «Je les ai laissés tremper pendant un mois dans du yogourt!»

Marcher sur des billots

La deuxième salle («Aquidia: la drave») est complètement différente. Elle est remplie de billots qui ont l'air de flotter sur l'eau. On peut marcher sur les billots comme si on était de vrais draveurs. «C'est du vrai bois de drave, dit Purdy. Il a été ramassé dans la rivière Saint-Maurice quand on a fait le ménage. Il date de 1864!» En fait, ce bois lui a été donné par un M. Forêt (ou Forest) qui fabrique des meubles à partir de bois anciens. Ce qu'il a donné à Richard Purdy, c'est la partie enlevée sur les billots. Si bien que le bois sur lequel on marche repose bien sagement sur le sol. Mais il se peut qu'il pleuve pendant la randonnée et si le soleil s'adonne à passer en même temps par les grandes fenêtres, on a droit à des arcs-en-ciel.

Troisième salle («Bindu: Big Bang»), la plus folle, selon l'artiste. Encore l'eau sur fond noir. Dans l'eau flottent des milliers de petits signes phosphorescents illuminés par des lumières noires (blue lights). En marchant sur l'eau, on déplace les objets qu'on peut aussi prendre dans ses mains et lancer dans les airs. C'est comme un immense tableau abstrait fait au sol, et dans lequel on baigne littéralement pour en changer l'allure.

Richard Purdy sort de sa poche un petit monstre en plastique mou. «J'en ai acheté des milliers comme ça au magasin 1$, dit-il. Il fallait que je les achète à l'unité parce que le magasin n'est pas équipé pour les vendre en gros. J'y suis allé tous les jours pendant des semaines. Les vendeuses ont fini par me demander si j'avais une garderie...» Ces milliers de petits objets aux diverses couleurs phosphorescentes ont été coupés en dizaines de milliers de petits morceaux qui s'étalent et se promènent sur cette toile que les visiteurs brouillent avec leurs pieds.

Avec Richard Purdy, expert illusionniste, le monde est à l'envers. Nos repères habituels sont perturbés. On est physiquement déstabilisés. Mais aussi émerveillés par autant de prouesse artistique. On sort de l'exposition en s'attardant cette fois à une carte géographique qu'on a l'impression de reconnaître mais qui représente le monde à l'envers. Les continents sont devenus des mers, les mers des continents, les îles sont des lacs, les lacs, des îles et ainsi de suite, infiniment. «Cela donne pour le Québec, pays de lacs, un pays formé d'îles où chacune réclame son indépendance», souligne en riant cet artiste qui a d'abord étudié le chant d'opéra dans sa jeunesse, avant d'aller vers la danse avec Jean-Pierre Perreault un peu plus tard, et qui s'est finalement consacré aux arts visuels, domaine où il figure parmi les artistes actuels les plus intéressants du Canada. Peut-être le verra-t-on un jour à Venise. C'est en tout cas son souhait le plus cher... À cause de l'eau.

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Richard Purdy, L'écho-l'eau, jusqu'au 26 septembre. 1882, rue Cascade, Shawinigan. Ouvert tous les jours, de 10h à 18h. Entrée: 10$ pour les adultes; 5$ pour les enfants de 6 à 12 ans.