Au MBAM, We Want Miles! expose la musique au même titre que les oeuvres visibles; tant le profane que le jazzophile y (re)découvriront un des grands artistes du XXe siècle.

«Miles a été le plus grand musicien des 200 dernières années.» Miles Davis - il disait que son ego avait juste besoin d'une bonne section rythmique - n'aurait peut-être pas cautionné l'affirmation de Wallace Roney, le seul trompettiste qu'il ait jamais pris sous son aile.

M. Roney a joué avec, ou derrière, Miles Davis entre 1985 et 1991 et on voyait bien que l'émotion soufflait fort, jeudi au Musée des beaux-arts de Montréal, quand il a évoqué les dernières années de son maître, au cours du vernissage de l'exposition qui lui est consacrée.

Loin des débats musicologiques, admettons d'emblée que We Want Miles! Miles Davis: le jazz face à sa légende a pour objet la figure dominante du jazz du XXe siècle. «Miles Davis était la diva absoluta!», lance Nathalie Bondil, la directrice générale du MBAM où la musique a déjà fait partie des expositions consacrées à Andy Warhol et à John Lennon. Ici, toutefois, la musique est «exposée» comme jamais auparavant. «Nous ne sommes pas une salle de concert; nous avons dû dompter le son», a admis Mme Bondil en faisant référence aux îlots sonores - appelées «sourdines», pour évoquer la sourdine Harmon qui a «fait» le son Miles Davis (1926-1991) -, des enceintes, donc, où le visiteur peut écouter les oeuvres marquantes des huit grandes étapes de la carrière de celui que Duke Ellington appelait le «Picasso de l'art invisible».

«Notre objectif était d'exposer la musique au même titre que des oeuvres d'autres champs artistiques.» Vincent Bessières, l'ancien rédacteur en chef du magazine Jazzman, agit comme commissaire de l'exposition We Want Miles! (du titre d'un disque de 1981) qu'il a conçue à la demande de la Cité de la musique de Paris où elle a attiré plus de 75 000 personnes, l'automne dernier. Pas tous des jazzophiles, bien sûr.

«En tant qu'ancien professeur (de français), j'ai toujours le souci de transmettre», dira Vincent Bessières, expliquant que l'exposition s'adresse autant aux profanes qu'aux spécialistes qui, s'ils n'y entendent rien de nouveau, y verront plein de documents inédits. Comme le manuscrit des notes de présentation du pianiste Bill Evans pour Kind of Blue (1959), le magnus opus de Miles Davis, le disque le plus vendu de l'histoire du jazz (quatre millions d'exemplaires).

Films, instruments, pochettes, oeuvres picturales: l'exposition compte plus de 300 documents de diverses natures que la scénographie met toujours en relation avec l'élément central: cette musique que Miles Davis a transformée quatre ou cinq fois durant sa vie. Ici les couvertures de magazines - magistrale recherche! - montrant le Kid Kodak génial qu'il était. Là, un des premiers pianos électriques Fender Rhodes. Sur ce mur, la photo de Miles ensanglanté: le black cat qui voulait être blanc vient de se faire matraquer par un policier new-yorkais. Dans une autre salle sombre - on se croirait dans un club -, les plus extravagants costumes de scène du temps où Miles Davis jouait les rock stars, lui, le seul jazzman jamais intronisé au Rock & Roll Hall of Fame.

À côté, la «sourdine» de Bitches Brew (1970) manquait déjà de sièges avant l'ouverture... À chacun des postes défilent sur un écran le lieu et la date de l'enregistrement et, bien sûr, le nom des musiciens: ici, Chick Corea et Joe Zawinul au piano, John McLaughlin à la guitare, Wayne Shorter au saxophone. Des noms...

Que voyons-nous, dans We Want Miles!, de cette France prompte à consacrer un mythe... surtout s'il est américain? La question fait sourire Vincent Bessières: «La France n'est présente qu'à deux moments. D'abord quand Miles Davis vient à Paris en 1949. Les journalistes le connaissent et l'attendent avec impatience: c'est pour lui un moment de reconnaissance tel qu'il n'en a pas encore connu aux États-Unis. Moment de liberté aussi, comme l'illustre son histoire d'amour avec Juliette Gréco.»

L'autre moment «français», magique celui-là parce que l'image et la musique s'y fondent, est mis en valeur dans la chambre d'écoute consacrée au film Ascenseur pour l'échafaud (de Louis Malle, 1958). On y voit Miles, super élégant, improviser la trame sonore en regardant défiler les images de Jeanne Moreau marchant sous la pluie. Tout Miles est là; tout Paris aussi, peut-être.

Et Montréal, là-dedans? André Ménard, cofondateur du Festival de jazz, a signé la préface de la version «montréalisée» du catalogue de l'exposition, magnifique par ailleurs. Par contre, le petit espace ajouté en fin de parcours pour évoquer Miles au Festival fait un peu chenu, une situation qui pourrait être corrigée.

Entre-temps, André Ménard confesse son grand péché: «Je suis jaloux des gens qui vont découvrir Miles Davis grâce à cette audacieuse exposition.» _____________________________________________________________________________________________________

WE WANT MILES! Exposition multimédia, au MBAM jusqu'au 29 août; pour info: www.mbam.qc.ca