Marion Wagschal, qui expose ses oeuvres à la galerie Battat Contemporary jusqu'au 5 juin, est de ces phénomènes artistiques dont la singularité émerveille et stupéfie à la fois.

Peintre figurative montréalaise, Marion Wagschal peint les corps humains dans leur plus grande banalité, dans leur réalité anodine avec une force évocatrice qui transforme ses personnages en héros et ses tableaux en pages d'histoire.

 

On quitte réjoui et impressionné cette exposition où la beauté émerge totalement, complètement de l'ordinaire humain et du quotidien, des relations entre les êtres, de leurs souffrances, de leur sexualité, de leurs errements.

Son tableau intitulé Béhémoth est une ode à la condition humaine. Un vieil homme est couché sur le dos, les jambes repliées comme un bébé prêt à être langé. Avec l'angle et la taille du tableau (2,15 m x 1,50 m), ses pieds ont une dimension démesurée.

Béhémoth est ce mot hébreu qui désigne la plus puissante créature de la Terre. C'est aussi le démon dans la religion juive. Marion Wagschal a peint avec le souvenir d'un homme couché en train de faire ses exercices physiques.

«Cette position m'avait beaucoup intriguée, dit-elle. Elle m'est longtemps restée à l'esprit, mais c'était tellement bizarre que je ne savais pas si je devais en faire un tableau. Je ne me suis rendu compte de ce que c'était vraiment qu'après l'avoir peint: notre fragilité au sein de l'univers. Notre mortalité. Quoi qu'on fasse, même si l'on devient un géant, on demeure un bébé.»

Comme dans tous ses tableaux, les corps des personnages, sculptés par les ombres, frappent par leur réalisme, leur étrangeté et un certain lyrisme. Il n'y a pas d'embellissement dans la peinture de Marion Wagschal. En tout cas, pas au sens de l'esthétisme et de l'art pour l'art.

Dans ses oeuvres, les ongles des pieds sont longs et déformés, les peaux avachies et ridées, les crânes dégarnis, les sourcils en broussaille, les mains meurtries, fatiguées et osseuses. Inspirée par Manet, Rembrandt ou Goya, elle est avant tout contemporaine et adepte de la peinture «musculaire». «Je peins les accidents du corps, dit-elle. Le corps est une carte de la vie de chaque personne.»

Elle ne croit pas si bien dire. Son propre corps, qu'elle a peint en 1978 (Cyclops), traduit son désarroi d'alors: nue, la chevelure négligée et l'oeil désabusé, elle a le pinceau en main et les pantoufles aux pieds, près d'un vase de tulipes fanées. Une toile sans compromis. «À ce moment-là, j'étais découragée et prête à abandonner la peinture», dit-elle.

Née à Trinité de parents juifs allemands, Marion Wagschal n'est pas portraitiste. Elle s'intéresse à l'âme d'abord et y puise ce que sa main traduira. «Je suis incapable de peindre sur commande. Je dois ressentir quelque chose et d'abord parler à la personne, percevoir sa force, sa façon d'être.»

Mme Wagschal, qui vient de prendre sa retraite de professeure au département de peinture et de dessin de la faculté des beaux-arts de l'Université Concordia, joue avec les contrastes et les contradictions, avec nos ennuis, nos fatigues, les affres de la vie.

Dans sa toile Dottore, elle met en scène des patients et des médecins dans une scène très Renaissance. Les docteurs portent des gants et les masques de la peste, avec ce long bec cornu qui, rempli d'épices, protégeait de l'odeur des cadavres. La souffrance est palpable. Mais c'est le chaos sanitaire d'ici et maintenant qu'elle décrit, celui du C. difficile, des urgences bondées et du système qui craque.

Cette exposition de Marion Wagschal est un événement. Le vernissage a eu lieu le 15 avril et presque toutes ses toiles sont vendues ou réservées. Mais il faut se déplacer à la galerie Battat. Pour la puissance exprimée par cette artiste montréalaise hors du commun... qu'elle célèbre si bien.

Marion Wagschal, jusqu'au 5 juin à la galerie Battat Contemporary (7245, rue Alexandra, suite 100)