Leur histoire n'est pas banale. Ce qui les rend encore plus fascinantes. Voici pourquoi certaines oeuvres du MBAM méritent le détour. Quand c'est possible...

Portrait de la marquise de Castelfuerte

Francisco de Goya 1804-1808

Incroyable mais vrai, cette paire de tableaux signés Goya est entreposée dans la chambre forte du Musée depuis les années 70. La raison? Ils ont été endommagés à l'époque par un «spécialiste» local, auquel le MBAM avait donné le contrat de restauration. Son travail aux solvants avait été si agressif qu'il avait enlevé le vernis, mais aussi quelques couches de peinture, avant de retoiler les deux oeuvres sur une plaque d'aluminium. «Ce fut une série de traitements malheureux. Avec ce nettoyage, les oeuvres ont perdu l'esprit de l'original», admet le conservateur de l'art ancien au Musée Hilliard T. Goldfarb. Le MBAM se serait visiblement passé d'un tel incident. Mais si l'on en croit Goldfarb, «des histoires comme celle-ci, hélas, tous les musées en ont vécu...» Dans une condition critique mais stable, ces tableaux de la collection permanente ont été gardés hors de la circulation, le Musée traitant en priorité les cas urgents et les oeuvres à restaurer pour les expositions temporaires. Mais les Goya pourraient bientôt revivre. Ils sont actuellement dans les labos du MBAM, qui souhaite réévaluer l'ampleur des dommages. Des experts internationaux de Goya seront mis à contribution, dans l'espoir de «retourner les tableaux à l'état le plus proche de l'esprit de l'artiste», lance M. Godfarb. Fait à noter, le MBAM possède son propre département de restauration depuis les années 70, ce qui lui permet désormais d'éviter ces très mauvaises surprises.

 

Portrait de l'avocat Hugo Simons

Otto Dix ,1925

Celui-là, on a bien failli le perdre. Arrivé au Canada en 1939, sous le bras de l'avocat Hugo Simons lui-même, ce portrait du peintre allemand Otto Dix a refait surface au milieu des années 80, après avoir été présenté dans une grande exposition à Stuttgart. Établis à Montréal, les enfants du peintre songeaient alors à le vendre à l'étranger. Mais en vertu de la loi québécoise sur l'exportation et l'importation des biens culturels, il fut décrété que le tableau était «d'importance nationale» et qu'il ne pouvait pas sortir du pays... en autant qu'une institution puisse se l'offrir. Le problème, c'est que le MBAM n'avait pas les moyens de l'acheter! Le tollé médiatique qui s'ensuivit permit au Musée de réunir les fonds nécessaires et de mettre la main sur le Dix en 1993. À noter que l'oeuvre sera présentée au printemps à la galerie Neue de New York, avant de revenir au MBAM l'automne prochain pour une rétrospective Otto Dix, un peintre que les nazis considéraient comme «dégénéré».

 

La famille

Robert Roussil 1949

Créée par l'artiste québécois Robert Roussil, cette sculpture de trois mètres de haut a fait couler beaucoup d'encre. Apparemment, sa nudité n'était pas au goût de tous. Quelques heures après son dévoilement à l'École d'art et de design, la police s'en empara pour la mettre en prison, non sans avoir recouvert d'un tissu le sexe de l'homme! Après avoir passé l'hiver sous la neige, l'oeuvre de Roussil devint l'incarnation d'un nouvel art moderne québécois rebelle, alors en pleine ébullition automatiste. Elle passe 10 ans en France, revient à Montréal en 1964 où elle est exposée à la brasserie Le Gobelet du boulevard Saint-Laurent, échappant de peu à l'incendie qui ravage l'établissement en 1970! Ce «totem de l'âge atomique» fait finalement son entrée au MBAM en 1990, 41 ans après sa création.

Étreinte

Pablo Picasso, 1971

Une peinture à caractère érotique, créée par un Picasso nonagénaire. C'est en soi digne de mention. C'est encore plus intéressant quand on sait qu'elle fut offerte au MBAM en 1985 par la veuve du peintre, à la condition absolue qu'elle ne soit jamais prêtée à aucune autre institution. «C'est une oeuvre fondamentale et, ironiquement, c'est la seule qu'on ne peut pas prêter», observe la directrice du Musée Nathalie Bondil. Étreinte est l'un des deux Picasso que possède le Musée.

Le chapeau de Napoléon

1812

Pour un destin, c'en est tout un. Donné au MBAM par le Montréalais Ben Weider, ce bicorne fut porté par Bonaparte en 1812, pendant la déroute de la campagne de Russie! Il ne reste apparemment que 12 des 170 couvre-chefs, fabriqués pour l'Empereur par le chapelier Poupart-Delaunay. Celui-ci est un des rares à avoir été si longtemps conservés chez un particulier. Il est aussi le seul qui soit exposé en Amérique du Nord. Unique en son genre, il avait été doublé de feutre à l'intérieur, à la demande du médecin de Napoléon, en prévision de l'hiver russe. La collection inclut aussi la fameuse mèche de cheveu de l'empereur, par laquelle Weider a pu échafauder sa thèse de l'empoisonnement à l'arsenic.

Photo: MBAM

La famille, Robert Roussil, 1949

La théière de Dresser

Christopher Dresser (1879)

Comment cette théière du Britannique Dresser, dont il n'existe que deux exemplaires dans le monde, s'est-elle retrouvée chez un quidam à Trois-Rivières? Nul ne le sait. Ce qu'on sait, c'est que cet objet extraordinairement moderne pour son époque (1879!) a réémergé par hasard à l'émission Collector's Road Antique Show, où elle fut évaluée comme une «authentique Dresser», miraculeusement retrouvée. Sotheby's voulait la vendre aux enchères, mais le MBAM l'a finalement acquise en priorité, en vertu de cette bonne vieille loi sur l'exportation et l'importation des biens culturels, qui donne préséance aux institutions canadiennes pour l'acquisition d'une oeuvre qui serait au pays depuis plus de 35 ans.