Il y a 150 ans naissait le Art Association of Montreal, première mouture du Musée des beaux-arts. Mis au monde par la haute bourgeoisie anglo-saxonne, le « temple de la rue Sherbrooke» fut longtemps la chassegardée d'une certaine classe sociale,Mais bien de l'eau a coulé... Devenu totalement québécois, le seul musée encyclopédique du Canada est aujourd'hui libéré de son image élitiste et continue de prendre sa place sur la carte muséale internationale. La Presse raconte les grands et petits moments de cette histoire profondément montréalaise, qui a suivi à travers l'art l'évolution du Québec moderne.

LES JOCONDES DU MBAM

Le Louvre a la Joconde, le Prado, Les Ménines de Velasquez, et l'Ermitage, de grands classiques des impressionnistes français. Toutes proportions gardées, quelles sont les oeuvres phares de la collection permanente du Musée des beaux-arts? Celles pour qui un touriste japonais ferait un détour jusqu'à Montréal? Tout dépend du point de vue où l'on se place. Mais on peut dire, sans trop se tromper, que la collection Napoléon, léguée il y a deux ans par Ben Weider, fait partie des incontournables, tout particulièrement ce rare cartonnier que convoitait le musée de Malmaison en France. Le tableau Femmes poursuivies par des satyres, créé en 1850 par le peintre Honoré Daumier, est à ranger dans la galerie des stars du MBAM, tout comme le diptyque Didon et Judith, du peintre italien Andrea Mantegna qui a la particularité d'être dans une «condition remarquable, assez proche de son état original», selon le conservateur de l'art ancien Hilliard T. Goldfarb. À noter que cette oeuvre créée entre 1500 et 1505 possède une paire jumelle, exposée à la National Gallery de Londres. Force est d'admettre toutefois que les expos temporaires du MBAM sont depuis plus de 30 ans les véritables vedettes du Musée. À noter que la grande majorité de ces projets spéciaux sont mis sur pied par le Musée lui-même, en partenariat avec d'autres institutions dans le monde.

 

Le vote populaire

Il y a les chefs-d'oeuvre, et il y a les oeuvres chéries du public. Étrangement, ce ne sont pas nécessairement les mêmes. Ainsi, selon Danièle Archambault, chef du service des archives et membre du comité d'acquisition, certaines oeuvres «chouchou» des Montréalais seraient systématiquement réclamées lorsqu'elles ne sont pas exposées. Il s'agit de la toile Octobre, de James Tissot (au Musée depuis 1927), de Parure des champs, de William Bouguereau (depuis 1889) et de Trappeurs d'hommes de Kent Monkman. «En général, les agents de sécurité se plaignent quand on retire ces toiles, parce qu'ils savent qu'ils vont se les faire demander à tout bout de champ!» souligne Mme Archambault.

Combien valent les tableaux?

Oui, les oeuvres ont un prix. Mais pour des questions de sécurité, les musées ne dévoilent pas cette information. Comme la plupart des acquisitions du MBAM sont le résultat de dons, les oeuvres doivent être évaluées par des spécialistes et par la Commission des biens culturels, qui en estiment la valeur. En échange, les donateurs reçoivent un reçu fiscal qui est à la hauteur de cette estimation. Et les oeuvres «achetées»? Elles le sont généralement dans des grandes foires spécialisées, comme Maastricht, pour l'art ancien, ou Bâle, pour l'art contemporain. C'est là que les conservateurs des grands musées négocient avec les marchands d'art pour obtenir tel ou tel chef-d'oeuvre. Un conservateur n'a jamais carte blanche. Il doit préalablement convaincre son comité d'acquisition du bien-fondé de la dépense. Si son pitch est accepté, on lui dit de foncer. Attention, prévient Danièle Archambault, du service des archives et des acquisitions: «La valeur en argent d'une oeuvre ne correspond pas nécessairement à sa valeur intrinsèque...» On s'en doutait.

Qui a volé le Rembrandt?

Comme la plupart des grands musées, le MBAM n'a pas été épargné par le mauvais sort. Entre vols, vandalisme et histoires d'horreur, son histoire a parfois côtoyé les annales judiciaires. Seize tableaux furent ainsi dérobés le 17 avril 1933, après avoir été découpés et retirés de leur cadre. Incapable d'obtenir la rançon de 10 000$ exigée, le coupable fut épinglé quelques semaines plus tard, après avoir tenté de cambrioler un entrepôt de la CP.

Le 11 septembre 1961, cinq oeuvres furent lacérées par un illuminé, dont Tête de jeune fille napolitaine d'Auguste Renoir et Tête de paysan d'Honoré Daumier. Éudiant à l'École des beaux-arts, André Dufour aurait agi de la sorte parce que selon lui «le public n'appréciait pas ces oeuvres et ne méritait pas de les voir».

Quelques années plus tard, une dame âgée badigeonna d'acrylique blanc le tableau L'île enchantée, de Paul-Émile Borduas. Cette dernière expliqua que Borduas lui était apparu en rêve et avait demandé «d'achever» son oeuvre. Achevée, elle le fut en effet.

Le 4 septembre 1972, enfin, 18 tableaux de grands maîtres furent volés pendant la nuit. Ce cambriolage très ciblé incluait notamment une oeuvre de Rembrandt, deux Bruegel l'ancien, un Rubens, un Daumier, deux Millet, deux Corot et un Delacroix, pour une valeur estimée à 2 millions. Leur butin ne fut jamais retrouvé.

À noter que la collection permanente du Musée est assurée par une couverture globale. Avec les systèmes de sécurité qui s'améliorent, il est toutefois devenu plus difficile de voler ou de vandaliser une oeuvre.

Source: Un musée dans la ville, de Georges-Hébert Germain

Merci, mais non merci

Vous avez peint un très beau paysage à la gouache et vous voulez l'offrir au Musée? Attendez-vous à un refus poli. Si le MBAM est plus actif et dynamique que jamais dans son processus d'acquisition, ses critères de sélection restent très rigoureux. N'entre pas dans la collection permanente qui veut! «Oui, ça nous arrive, des petites dames qui viennent dans l'entrée avec leur tableau sous le bras, raconte Danièle Archambault, du service des archives et du comité d'acquisition. On va les rencontrer et on leur explique qu'on ne peut pas accepter leur don. En général, elles comprennent.» En général, mais pas toujours. Mme Archambault se souvient d'un homme qui avait voulu leur léguer la bague de mariage de son épouse décédée. «Elle avait été faite par un joallier de Montréal connu; elle était jolie, mais ce n'était pas une bague particulière. Il nous a dit qu'il ne voulait pas la donner à ses deux filles pour éviter la chicane; il préférait nous l'offrir. Il insistait. On a été obligés de lui dire non. Il s'est mis à pleurer...» Avec l'internet, ces situations sont plus rares, précise l'archiviste. «Aujourd'hui, on règle beaucoup de choses par courriel.»