L'exposition Le verre selon Tiffany ouvre ses portes vendredi prochain au Musée des beaux-arts. Tombé en désuétude avant sa mort, le célèbre verrier américain a été redécouvert par ses compatriotes dès les années 1950. La restauration de vitraux d'une église de la rue Sherbrooke a permis au musée montréalais d'attirer des pièces parmi les plus importantes de Tiffany des plus grands musées américains et européens.

Voilà quelques années, Rosalind Poppel a décidé de faire restaurer les vitraux qui décorent les fenêtres de son domicile. Après les avoir décrochés de leur cadre, elle les a installés à l'arrière de sa voiture. Mauvaise idée: à chaque bosse dans la rue, elle entendait des craquements. Cette anecdote revient à la commissaire de l'exposition Tiffany quand vient le temps d'expliquer les énormes précautions prises par le Musée des beaux-arts de Montréal pour envoyer quatre vitraux du célèbre verrier américain au Musée du Luxembourg à Paris.

«Les pièces de verre tiennent ensemble grâce à la tension de leurs bordures de plomb. Alors on ne peut tout simplement pas les mettre à plat: au moindre choc, le verre se brise. Il a fallu imaginer une méthode d'entreposage vertical dans les boîtes. C'est vraiment une logistique très compliquée.»

Le Musée des beaux-arts n'a ménagé aucun effort pour démonter et faire voyager ces joyaux de Montréal et parvenir à organiser l'une de ses plus importantes expositions. «Il est assez rare que nous puissions offrir des pièces importantes pour des expositions organisées en collaboration internationale», explique Nathalie Bondil, directrice du musée de la rue Sherbrooke. «Mais quand nous avons fait venir des spécialistes new-yorkais pour évaluer nos vitraux, ils ont vite reconnu qu'ils étaient exceptionnels. Cela nous a permis d'emprunter des pièces importantes dans les musées étrangers, dans les pays où l'exposition doit voyager.» L'exposition Le verre selon Tiffany: la couleur en fusion a voyagé à Paris l'automne dernier et prendra le chemin de Richmond, en Virginie, cet été.

Les vitraux en question ont plus de 100 ans. À la fin du XIXe siècle, les presbytériens américains de Montréal ont décidé de se doter d'une nouvelle église, rue Dorchester. C'est alors, pour la décorer, qu'ils ont fait appel à Louis Comfort Tiffany, dont les décors vitrés faisaient fureur dans la bourgeoisie américaine.

«C'est le plus grand ensemble de vitraux de Tiffany au Canada», précise la commissaire de l'exposition, Rosalind Pepall. «Il y a en d'autres à London, mais ils ne sont pas aussi imposants. La qualité est comparable aux vitraux les plus importants de Tiffany dans les églises américaines. Parfois, il y a jusqu'à sept couches de verre pour créer une impression de volume.» Une seule exposition sur Tiffany a été organisée à Montréal, en 1906 chez un marchand d'art.

La collaboration avec le Musée du Luxembourg à Paris a permis d'organiser la première exposition sur Tiffany en France. «Dans toute l'Europe, il n'y en a eu qu'une, en Allemagne à la fin des années 90, dit Mme Bondil. Malgré sa connaissance de Tiffany, la France a privilégié ses propres artistes au niveau du verre art nouveau. Je voulais que Tiffany retourne à Paris.»

Décorer la Maison-blanche

Né en 1848 dans une riche famille de commerçants - qui avait fondé le magasin Tiffany's immortalisé par le film Breakfast at Tiffany's - Louis C. Tiffany a d'abord étudié la peinture en France et en Afrique du Nord. «Il est passé au verre parce qu'il était fasciné par la lumière, dit Mme Pepall. On le voit dans ses peintures, où il privilégiait les structures. Pour lui, le verre permettait de tirer parti au maximum des possibilités de la lumière naturelle.»

Tiffany s'est d'abord fait connaître par ses décors intérieurs. «Il a notamment décoré la Maison-Blanche, dit Mme Pepall. Son goût avait fait l'objet de reportages photographiques qui ont attiré l'attention sur lui. Mais rapidement, ce sont ses objets en verre qui l'ont rendu célèbre.» Il a notamment fait un pavillon à l'exposition universelle de Chicago en 1893 et à celle de Paris en 1900 - cette dernière lui a valu la Légion d'honneur.

Mais rapidement, l'ébullition qui agitait alors le monde de l'art a rendu donné un air dépassé à ses créations. Sa décoration de la Maison-Blanche est détruite par une rénovation dès le début du XXe siècle. La Grande guerre a discrédité le monde bourgeois que symbolisait Tiffany. «Il y a eu beaucoup de mauvaises reproductions de ses lampes et ça l'a desservi», ajoute Mme Pepall.

Son atelier ferme ses portes avant même sa mort, survenue en 1933, et leurs actifs sont vendus aux enchères immédiatement après sa disparition. «Il a fallu attendre les années 50 pour qu'il soit redécouvert par un conservateur du MOMA à New York, dit Mme Pepall. Depuis, il est considéré comme l'un des grands artistes américains, peut-être même le premier qui a fait sa marque au niveau mondial.»