Le Château Dufresne, construit pour les richissimes frères du même nom dans l'est de Montréal, a été décoré en partie par Guido Nincheri. L'exposition Nincheri profane rend hommage à l'artiste dont les oeuvres ornent les murs, les plafonds et les fenêtres de l'élégante demeure transformée en musée.

Le Château Dufresne s'élève presque avec insolence à l'angle de la rue Sherbrooke et du boulevard Pie-IX. Une opulence qui détonne en plein coeur de l'arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, reconnu comme l'un des plus pauvres de la ville. Le bâtiment reflète effectivement une autre époque: celle où la «Cité de Maisonneuve» était une banlieue cossue de Montréal.

Au début du XXe siècle, les frères Oscar et Marius Dufresne ont demandé à l'artiste Guido Nincheri, fraîchement débarqué d'Italie, d'assurer la décoration de leur somptueuse propriété.

Le travail de Nincheri au Château Dufresne constitue la pièce maîtresse de son oeuvre profane au pays. L'exposition, qui a cours jusqu'au 12 septembre au musée du Château Dufresne, met donc en lumière les oeuvres non religieuses de l'artiste. Et ce, même s'il a consacré la plus grande partie de sa carrière au sacré. «Son oeuvre profane est marginale, mais elle est quand même très belle», explique Paul Labonne, directeur du musée du Château Dufresne.

Comme dans toute exposition, les visiteurs peuvent admirer les croquis de l'artiste, ainsi que ses sources d'inspiration. Mais en accédant aux étages supérieurs, ils ont aussi la chance de voir les peintures et les vitraux dans leur contexte d'origine, disséminés un peu partout dans le Château.

Nu et mythologie

Le Château Dufresne, inspiré du Petit Trianon de Versailles, compte deux ailes symétriques: une pour chacun des frères. Les oeuvres de Guido Nincheri se trouvent surtout dans les appartements d'Oscar Dufresne.

L'artiste a su intégrer ses oeuvres à l'architecture des lieux. Il s'est également inspiré de la mythologie grecque, ce qui lui a permis de dessiner des nus. «Quand on faisait de la mythologie, on pouvait dénuder les corps. Mais sinon, ça aurait été impensable», affirme Paul Labonne. Par exemple, les peintures du grand salon racontent les amours d'Orphée et Eurydice, tandis que celles du boudoir mettent en scène Psyché, le pendant féminin d'Orphée. Dans la bibliothèque, quatre génies ailés rendent hommage à la philosophie, la poésie, la musique et la physique.

Abandonnées puis restaurées

Une restauration importante s'est imposée pour que les oeuvres de Guido Nincheri, malmenées au cours du temps, retrouvent leur lustre.

Quelques années après la mort des frères Dufresne, à la fin des années 40, les pères de Sainte-Croix y ont aménagé un externat classique pour jeunes garçons. Les peintures étant trop osées à leur goût, les pères les ont recouvertes de peinture de latex. La famille Nincheri a toutefois réussi à mettre la main sur deux tableaux avant qu'ils ne soient recouverts.

Le bâtiment a ensuite été laissé à l'abandon pendant une dizaine d'années, marquées par des infiltrations d'eau et de nombreux actes de vandalisme. Plusieurs vitraux ont été perdus pendant cette période. Heureusement, les peintures recouvertes par les pères ont été épargnées. «Les pères, sans le vouloir, ont préservé les oeuvres, qui auraient probablement été détruites sinon», affirme le directeur du musée. Puis, à la fin des années 70, le bâtiment a été restauré par la fondation Macdonald Stewart. La plupart des pièces du Château ont maintenant retrouvé leur cachet.

En échange des services de Nincheri, les frères Dufresne lui avaient offert de louer un local au rabais au rez-de-chaussée de l'entreprise familiale, boulevard Pie-IX. L'équipe de l'artiste y a produit 5000 verrières, posées un peu partout en Amérique du Nord, jusqu'à la fermeture du studio en 1996.

Aujourd'hui, plusieurs tableaux et éléments de l'oeuvre de Nincheri ont été récupérés auprès de la famille. Cela a permis de faire des liens entre les pièces de l'artiste et, surtout, de donner un sens à son oeuvre.

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Nincheri profane, au musée du Château Dufresne jusqu'au 12 septembre. L'exposition est présentée dans le cadre de Montréal, ville de verre.