Des centaines d'oeuvres d'art sont malades au Québec. Elles atterrissent, parfois bien amochées, au Centre de conservation du Québec (CCQ), où elles en ressortent comme neuves... ou presque. À l'occasion des 30 ans de l'institution, La Presse a passé un après-midi avec les «docteurs» de notre patrimoine.

Penchée sur une grande statue de la Vierge, Michèle Lepage travaille minutieusement. Telle une infirmière au chevet de son patient, la restauratrice de sculptures s'affaire à effacer les affres du temps sur l'imposante pièce de bois.

Dans un bâtiment coloré au milieu d'un parc industriel, à Québec, le patrimoine québécois repose entre les mains des 25 restaurateurs du CCQ. Tout, dans la bâtisse de l'architecte Pierre Thibault, a été conçu en fonction des oeuvres d'art : portes hautes pour faire passer les pièces imposantes, température et humidité contrôlées, immense baie vitrée qui diffuse la délicate lumière du nord.

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Depuis 30 ans, le CCQ restaure un éventail éclectique d'objets, contemporains comme anciens: des esquisses de Napoléon Bourassa, des harpes, les premiers livres de comptes de la Banque de Montréal... On s'occupe même d'objets trouvés au fin fond de l'océan, dans l'épave d'un bateau qui a fait naufrage en 1690.

Michèle Lepage poursuit ses retouches sur la statue de la Vierge, dont la tête est décorée d'une tresse torsadée. C'est un travail de moine, auquel la restauratrice se consacre avec ses lunettes grossissantes et ses outils fins. On dit d'ailleurs de son métier qu'il exige la sensibilité d'un artiste et la rigueur d'un médecin.

Le travail de restaurateur nécessite aussi une grande réflexion: dans certains cas, mieux vaut ne pas intervenir sur une oeuvre plutôt que d'empirer son état. Et parfois, ce sont les restaurations antérieures, faites à la va-vite, qui causent de véritables maux de tête. La statue de la Vierge en est un bon exemple. «Elle a été restaurée en 1981 par des gens qui n'avaient pas cette compétence-là, indique Mme Lepage en examinant la sculpture. Ça a fait plus de tort qu'autre chose.»

Tout, dans la tâche des restaurateurs, est délicatesse modeste: redonner leur intégrité aux objets, réparer ce qui a été brisé, sans jamais altérer l'original. «Notre premier boulot, c'est la conservation de l'oeuvre», résume la restauratrice.

Un des grands principes de la restauration est d'ailleurs la réversibilité, c'est-à-dire que toute intervention pratiquée sur une oeuvre doit pouvoir être retirée pour revenir à l'état d'origine. Un principe qui n'a pas toujours été respecté dans le passé. Certaines «restaurations» incongrues ont même consisté à rajouter, sur des objets, de la gommette bleue ou encore du vernis à planchers!

Dans l'atelier, la Vierge qui passe sous le bistouri côtoie des oeuvres d'art du métro de Montréal. Effectivement, depuis 2003, le CCQ s'occupe de la restauration de ces pièces d'art public, parfois empoussiérées dans l'anonymat des couloirs de métro. L'une de ces oeuvres compte 45 panneaux, qui ont dû être démontés à la station Papineau pendant la nuit. La pièce aux couleurs vives, magnifique sous la lumière du jour, avait besoin d'un bon nettoyage après avoir passé plus d'une quarantaine d'années dans le métro.

Pas ordinaire

Le métier de restaurateur exige parfois de travailler dans des positions pour le moins inhabituelles. Par exemple, les dimensions du tableau La descente de croix, du peintre Yves Tessier, sont telles qu'il a fallu installer une passerelle pour atteindre son centre. Les restaurateurs ont dû faire leurs retouches à plat ventre pendant plusieurs jours, ce qui a même occasionné des ecchymoses ici et là...

Quelques catastrophes ont aussi été évitées de près. «L'hiver passé, je suis rentrée un matin et il y avait une flaque d'eau juste à côté de l'oeuvre sur laquelle je travaillais», raconte Éloïse Paquette, jeune restauratrice aux lunettes et aux cheveux noirs. Quelques pouces de plus et l'oeuvre en question, le Grand livre de Champlain, cadeau de la France pour le 400e anniversaire de Québec, aurait pu subir de lourds dommages.

À l'instar des médecins avec leurs patients, les restaurateurs voient les oeuvres aller et venir. «C'est comme un hôpital ici, note le restaurateur Michael O'Malley, dans un français teinté d'un joli accent. Les oeuvres rentrent comme des infirmes; on les stabilise, puis on les met en valeur.» Après, il faut les laisser voler de leurs propres ailes...