Ahurissant! C'est le mot qui vient spontanément à l'esprit quand on visite Sweet Crude, l'exposition consacrée à l'artiste canadienne Cal Lane, celle qui fait de la dentelle avec de l'acier.

Après avoir brodé au chalumeau des pelles et des brouettes comme s'il s'agissait de napperons en dentelle, Cal Lane a recours, dans cette deuxième exposition chez Art mûr, à des bidons d'huile et des petits ou gros barils de pétrole, pour exprimer son propos. Avant de s'attaquer dans les prochains mois à un... sous-marin du Monténégro.

 

Dans Sweet Crude (pétrole moins brut que l'autre), Cal Lane a déplié certains barils usagés pour les transformer en cartes géographiques apposées au mur. Ou bien elle en a fait des rouleaux de tissu tombant sur le sol. Au chalumeau ou au laser, elle y a découpé des motifs qui rappellent le bel ouvrage crocheté de nos grands-mères ou d'autres motifs qui semblent sortir des illustrations enjolivant les cartes anciennes de colonisateurs occidentaux. Certaines oeuvres, toujours faites à partir de bidons ou de barils, montrent, en silhouettes, des clichés de la vie de banlieue - une maison, deux garages, un chien, par exemple -, des camions, des signaux routiers.

Cette série, on l'aura compris, propose une réflexion sur le mode de vie occidental fondé sur l'exploitation et l'utilisation du pétrole, la consommation d'énergie polluante, mais aussi sur les rapports entre colonisateurs et colonisés, sans oublier les rapports entre le féminin et le masculin. Le contraste entre la délicatesse des découpes et la grossièreté des supports est saisissant. Cette artiste originaire d'Halifax, qui vit maintenant près de New York dans un domaine que lui prête un couple de collectionneurs, impressionne autant par son savoir-faire que par son propos critique.

Mais comment Cal Lane passera-t-elle du bidon de pétrole au sous-marin?

Le monde de l'art contemporain réserve bien des surprises, nous ont expliqué les galeristes Rhéal-Olivier Lanthier et François Saint-Jacques, organisateurs de cette exposition qui ira ensuite à Toronto, puis dans l'Ouest canadien. Ce sont deux collectionneurs importants, Kay Saatchi et Andrew Williams, qui ont passé la commande à Cal Lane. Ils ont repéré ce vieux sous-marin du Monténégro abandonné depuis longtemps et en ont conclu qu'il serait parfait pour elle. Aussi le lui ont-ils offert, avec la permission de l'État, à la condition que le sous-marin reste là où il est. Le motif choisi par l'artiste n'est pas innocent. C'est l'image d'une fleur génétiquement modifiée par des scientifiques canadiens pour être sensible aux mines antipersonnel. Les mines font changer la fleur de couleur. Pour la première fois, Cal Lane, plutôt solitaire nous a-t-on dit, devra travailler avec une équipe.

Est-ce le début d'une nouvelle carrière, dans le monumental? À lire son C.V., on comprend que l'artiste, de son vrai nom trop romantique à son goût, Christine Ann Lane, aujourd'hui dans la quarantaine, est partie pour la gloire.

Sweet Crude, Cal Lane, à la galerie Art mûr, 5826, rue Saint-Hubert, jusqu'au 31 octobre. Entrée libre.