Pas de moulin de la Galette ou de canotiers. Une exposition qui s'ouvre mercredi au Grand Palais, à Paris, est la première à se consacrer exclusivement à l'oeuvre tardif de Renoir, bien après sa période impressionniste.

Durant les 30 dernières années de sa vie, le peintre privilégie les sujets atemporels. C'est l'époque des portraits intimistes et des nus monumentaux.«Au moment où Renoir rencontre le succès pour l'impressionniste qu'il a été, il propose quelque chose de tout à fait différent», souligne Sylvie Patry, conservatrice au musée d'Orsay et commissaire de l'exposition. Durant la fin de sa carrière, l'artiste concilie ses trouvailles stylistiques avec son amour de la tradition; il revisite librement les classiques.

Avec Claude Monet et d'autres, Pierre Auguste Renoir (1841-1919) a fait partie des impressionnistes, qui ont bousculé la peinture avec leur première et retentissante exposition en 1874. Il a eu l'audace de représenter des scènes populaires dans des dimensions longtemps réservées à la peinture d'histoire. Ses grands formats Le Bal du moulin de la Galette (1876) et Le Déjeuner des canotiers (1881) ont marqué les esprits. Les taches de lumière qui y éclaboussaient les personnages figuraient les rayons du soleil.

Progressivement, Renoir s'éloigne de l'impressionnisme et des thèmes contemporains. Lui qui rêve d'entrer au musée voit l'État lui acheter ses Jeunes filles au piano en 1892. Cette toile sera accrochée au Luxembourg, qui consacre alors les artistes vivants. Après un paysage de Sisley, c'est le deuxième tableau d'un impressionniste à entrer dans un musée français.

Les galeries nationales du Grand Palais voient cette date comme un tournant dans la carrière de l'artiste, mais aussi dans son esthétique. C'est donc en 1892 qu'elles font débuter l'exposition «Renoir au XXe siècle».

Avec leurs tons acidulés, qu'a fait ressortir une toute récente restauration, les Jeunes filles au piano illustrent bien l'évolution stylistique qu'amorce alors le peintre. Ses sages musiciennes posent dans un intérieur bourgeois. L'atmosphère rappelle les portraits du XVIIIe siècle, sans leur académisme.

La technique impressionniste est en effet passée par là. Elle se laisse encore deviner mais elle a profondément évolué. Le pinceau est moins nerveux, la touche plus fluide, les couleurs se fondent subtilement l'une dans l'autre. Le résultat est décoratif - au sens noble du terme, insiste la commissaire Sylvie Patry: «Renoir disait que la peinture était faite pour égayer les murs».

En cette période d'industrialisation galopante, l'artiste délaisse les tumultes extérieurs et se focalise sur son foyer. Il peint ses enfants, ses amis et ses employés de maison. La nourrice Gabrielle Renard, restée vingt ans au service de la famille, apparaît sur près de 200 tableaux.

Dans ces portraits intimistes, Renoir montre ses modèles en train de lire, de coudre ou de jouer. L'artiste profite de leur concentration, qui les rend en quelque sorte plus disponible, mais ils ne leur vole pas ces instants. Ce ne sont pas des images saisies sur le vif. Le peintre n'a que faire du réalisme, comme le suggère son goût pour les déguisements. Ses fils posent en clown, en pierrot ou en chasseur, son marchand de tableaux en toréador.

Le thème majeur de ses dernières années reste cependant le nu féminin, «la forme indispensable de l'art», aux yeux de Renoir.

Il y fait des références de plus en plus appuyées à la statuaire antique et aux peintres qui l'ont précédé.

Réalisées juste avant sa mort, ses gigantesques «Baigneuses» (1918-19) sont une sorte de recueil de citations: on y trouve les distorsions anatomiques d'Ingres, la pose de l'«Olympia» de Manet et la composition des Demoiselles du bord de la Seine de Courbet. Toutefois, Renoir fait une «appropriation très personnelle de la tradition», note la commissaire.

Dans ses derniers nus, les formes s'arrondissent et gagnent en ampleur. «Renoir disait qu'il voulait remplir la surface du tableau à craquer», rappelle Sylvie Patry.

Les couleurs se font plus chatoyantes, les carnations plus roses. D'après la commissaire, l'artiste redoutait les outrages que le temps pourrait faire subir à ses toiles et choisissait ses tonalités en se projetant 50 ans dans l'avenir. «Renoir disait qu'il fallait faire monter en puissance les rouges puisqu'ensuite, le tableau s'assombrissait, perdait la vivacité de ses coloris».