Le peintre Caravage (1571-1610) se servait d'instruments optiques révolutionnaires lui permettant de «photographier» ses modèles plus de 200 ans avant l'invention de l'appareil photo, selon les travaux d'une chercheuse italienne.

Michelangelo Merisi dit «Le Caravage» maîtrisait un «ensemble de techniques qui sont la base même de la photographie» explique dans un entretien à l'AFP Roberta Lapucci, enseignante à la Saci, l'école américaine d'art de Florence.

Selon elle, le peintre travaillait dans une «chambre noire» où il plaçait ses modèles, qui étaient éclairés par la lumière filtrant à travers un trou dans le plafond. L'image était ensuite projetée sur une toile à travers une lentille et un miroir.

La toile était enduite d'une préparation composée de différents éléments sensibles à la lumière, permettant de fixer l'image pendant environ une demi-heure, selon la chercheuse.

Ensuite, dans l'obscurité quasi-totale, le peintre brossait à grands traits l'image projetée grâce à un mélange de blanc de céruse et d'éléments chimiques et de minéraux visibles dans le noir.

La chercheuse émet l'hypothèse qu'il se servait d'une poudre photoluminescente faite de lucioles concassées, utilisée à l'époque pour les effets spéciaux au théâtre.

L'un des éléments principaux de ces mélanges était le mercure, ce qui expliquerait, selon elle, le caractère agité et colérique du Caravage, dont la vie querelleuse a été marquée par un meurtre en 1606 à Rome qui l'a obligé à fuir à Malte.

Cette technique explique selon elle «le fameux clair-obscur des tableaux du Caravage et la lumière «photographique» qui les éclaire».

«Toute cette installation lui avait été suggérée par son ami le physicien Giovanni Battista Della Porta. Le Caravage était très lié avec une communauté de savants s'intéressant à l'optique», explique la restauratrice.

Le système de chambre noire («camera oscura») avait déjà été décrit par Léonard de Vinci (1452-1519) mais Le Caravage est le premier peintre à en faire usage, affirme-t-elle.

Les travaux de Roberta Lapucci font écho à ceux de l'artiste britannique David Hockney qui estime dans son livre Savoirs Secrets (2001) que Le Caravage, puis Van Dyck (1599-1641) et Ingres (1780-1867), utilisaient des instruments optiques pour mettre en scène leurs tableaux.

Cette théorie est contestée par des historiens d'art en raison de preuves insuffisantes et parce qu'elle discrédite l'inventivité des artistes.

«Il existe de nombreuses preuves, notamment le fait que Caravage ne faisait jamais de dessin préparatoire: il est donc plausible qu'il se servait de ces «projections» pour peindre», se défend Roberta Lapucci.

«Un nombre anormal de ses modèles sont gauchers. Ceci pourrait s'expliquer par le fait que l'image projetée sur la toile était à l'envers, les lentilles de l'époque ne permettant pas de la projeter à l'endroit», poursuit-elle.

«Cette anomalie disparaît dans les oeuvres tardives de l'artiste, signe que les instruments qu'il utilise s'améliorent. Grâce à ces progrès techniques, ses tableaux gagnent aussi beaucoup en profondeur de champ au fil des années», estime la chercheuse.

Surtout, elle se défend de vouloir diminuer le travail de l'artiste: «Sa maîtrise de certaines techniques avant l'heure n'enlève rien à son génie, au contraire. Il est évident qu'il ne suffit pas de projeter des images sur une toile et de les recopier pour devenir Caravage!».