Le vêtement dans l'art. Coiffée de ce titre, ce ne sont pas les «collections»de Prada ou d'Yves Saint-Laurent que cette exposition voit défiler. Pas vraiment sur mesure, encore moins en version prêt-à-porter, c'est le vêtement tel que détourné par les artistes qui s'expose au rayon galerie chez Simon Blais.

Une dizaine d'artistes ont métamorphosé la petite salle de la galerie. Celle-ci est devenue un drôle de vestiaire où le regard est chamboulé tant les oeuvres tissent entre elles des liens inédits.

 

Chez Tàpies, une chemise a remplacé la feuille de papier traditionnelle. Sur cette surface peu banale, le peintre catalan a pulvérisé, bien noirs, les traits d'encre venus s'y imprimer. Deux « vestes « de Betty Goodwin exhument la trace absente du corps dans les oripeaux qui l'emballaient. Face à ces enveloppes vides , l 'América ine Ann Hamilton a transformé un manteau de feutre blanc en une imposante armure.

Les râleurs vont dire que ce thème est tellement vaste qu'il aurait dû être traité en 350 pièces par un musée. Et comment se fait-il, ajouteront-ils, que la « robe de steaks « de Jana Sterbak, faite de viande crue et qui a fait scandale à l'époque lors de l'ouverture du Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa, n'est pas là? Mais pourquoi bouder son plaisir ? Il faut savoir que cette présentation si originale part d'une question toute simple: la volonté, chez Simon Blais, directeur de la galerie éponyme, de remonter le fil, celui de la création.

« Je voula is savoi r pourquoi Antoni Tàpies et Betty Goodwin avaient abordé tous les deux en eau-forte ce même sujet vers 1972, explique-t-il. Pour Tàpies, la chemise moulée dans une résine est incorporée concrètement à son oeuvre. Chez Betty Goodwin, c'est très différent. La veste est pressée dans le vernis mou. Cette empreinte sert d'émulsion pour imprimer la plaque. L'estampe enregistre un passage, quelque chose d'évanescent ! «

Le Montréalais John Heward peint sur de la rayonne. Sans cadre, cette «toile» peut ensuite être accrochée comme on veut. Les plis tombent. L'oeuvre avec ce relief prend une présence nouvelle dans l'espace. Peinture ? Sculpture ? Les convent ions sont bousculées . L'exploration du drapé est aussi présente dans cette Aile de Micheline Beauchemin en filaments d'acrylique et de métal scintillant.

Dessine-moi une collection

Le Petit Prince, une lithographe de Geneviève Cadieux, oppose la nudité d'une reproduction d'une photo de Bellocq prise dans un bordel de La Nouvelle-Orléans au XIXe siècle avec le Petit Prince en redingote dessiné sur la couverture du livre par Saint-Exupéry. L'exposition s'achève sur un étonnant morceau de bravoure de Louise Viger. Elle a habillé de laine d'acier une immense effigie.

C'est en voulant comprendre «comment ça marche» que Blais a d'abord acheté ces séries d'oeuvres de Tàpies et de Goodwin. Remontant le fil - c'est le cas de le dire -, il s'est intéressé, à partir de cela, à la façon dont certains artistes se sont servi du vêtement et du tissu. «Cela m'a permis d'aller plus loin «. L'idée du vêtement est devenue ce thème conducteur, un guide, qui a poussé Simon Blais à acquérir l'une après l'autre toutes ces pièces et à les confronter entre elles.

Au bout du fil, ce qui est en jeu, c'est bien la passion du collectionneur qui porte, avec ou sans jeu de mots, Simon et Sylvie Blais depuis toutes ces années. Pas étonnant donc que cette exposition s'insère dans le cadre de la célébration des vingt ans de leur galerie. En parallèle, dans les autres salles, l'exposition Coups de coeur rassemble, plus classiques : Riopelle, Alleyn, Sam Francis, Jean McEwen, Marcelle Ferron, Lemoyne et quelques autres... De ces oeuvres vintage qu'il a gardées, Simon Blais pourrait nous en parler durant des heures tant elles témoignent de ses expositions les plus marquantes. À leur façon, ces Coups de coeur nous racontent aussi l'étoffe, ou la fibre, qui habite ce couple de galeristes qui ont décidément «l'art dans la peau».

Le vêtement dans l'art, à la galerie Simon Blais (5420, boul. Saint- Laurent), jusqu'au 7 mars.