Le nouveau Musée des beaux-arts de l'Ontario, conçu par Frank Gehry, est une réussite. Tout le monde en convient. On sait moins cependant que la nouvelle manière de présenter les expositions dans ce nouveau lieu est tout aussi révolutionnaire. À commencer par la salle réservée au jeune artiste d'origine montréalaise David Altmejd.

Nous sommes dans le Walker Court, sorte de hall d'accueil du nouveau Musée des beaux-arts de l'Ontario. Au bout d'une enfilade de salles, la lumière du jour descend sur une installation littéralement miroitante. Surprise! Il s'agit d'une oeuvre du jeune artiste québécois de réputation internationale David Altmejd. La salle qui lui est réservée, autrefois le restaurant du musée, ressemble à une verrière. La lumière frappe les multiples morceaux de miroir qui sortent d'un peu partout dans cette oeuvre étonnante qui a fait beaucoup parler lors de sa présentation, dans la version originale, à la Biennale de Venise l'été dernier.

 

Pour le Musée de l'Ontario, Altmedj a fait une nouvelle version à partir des mêmes éléments. On y retrouve des hommes grandeur nature, veston-cravate, à tête d'oiseau, des animaux empaillés, des arbres artificiels pleins d'oiseaux, des plantes et fleurs d'essences canadiennes, des champignons, des trouées dans un bloc où les surfaces reflètent les surfaces voisines et renvoient des images à l'infini dans lesquelles le visiteur luimême est pris. Il y a des pieds qui poussent dans les arbres et autres aberrations. Ce qui est paré de brillants est parfois en état de décomposition. On peut rester longtemps dans ce paradis perverti fourmillant de détails insolites. Cela s'appelle The Index.

The Index n'est pas la seule surprise que réserve le Musée des beaux-arts de l'Ontario revu et corrigé par Frank Gehry, cet architecte vedette né à Toronto mais établi depuis longtemps aux États-Unis. En vérité, le musée lui-même est une boîte à surprises. Nous en avons déjà parlé dans La Presse du samedi 20 décembre, section Vacances/Voyage. Le contenant est spectaculaire avec ses deux escaliers qui sortent en tire-bouchon à l'extérieur de la tour de verre construite au-dessus de l'ancien édifice. La lumière naturelle entre de partout dans les 110 salles d'exposition. Rarement circule-ton avec autant d'aisance et de bonheur dans un musée.

Mais ce qui nous a aussi surprise, c'est la philosophie qui se dégage des expositions. Les conservateurs présentent les collections du musée d'une manière inhabituelle, quasiment révolutionnaire. Ils n'hésitent pas à mélanger les genres et les siècles. Ils renouvellent le genre et font dire à l'art des choses qu'ils pensent peut-être eux-mêmes sur la condition humaine. Ainsi, autour du sculpteur Henry Moore (dont le musée possède la plus grande collection d'oeuvres), on a placé des sculptures d'autres artistes touchant la guerre et la bombe atomique. Il y est question de violence.

Sur le thème de History, Her Story, il y a des tableaux montrant desmères et leurs enfants (de Picasso, Vuillard, Maurice Denis...) mais aussi, au-dessus de la porte, des Lèvres de Geneviève Cadieux. Il y a des scènes de femmes ou d'esclaves nues (de Rembrandt par exemple), mais aussi des tableaux de Kiki Smith ou Betty Goodwin...

Dans une autre salle remplie «mur à mur» de portraits, comme on le faisait autrefois, on y place côte à côte des oeuvres réalisées par autant de femmes que d'hommes peintres du siècle dernier. Existe-t-il vraiment une peinture féminine différente d'une peinture masculine? À vous de jouer. Ou encore, on se retrouve devant un ensemble d'oeuvres ayant des liens avec la musique. Et très souvent, peu importe le thème ou le siècle, se glissent des oeuvres d'art autochtones parmi les autres.

Les nouvelles salles des quatrième et cinquième étages sont consacrées à l'art contemporain. Les oeuvres y sont regroupées par décennies. Et chaque décennie a droit à son étiquette. Ainsi, les années 60 sont sur le thème de la liberté et les conflits, les années 90 sur celui du pouvoir et le XXIe siècle sous le signe de la mondialisation. Pour certaines salles, il y a du matériel audiovisuel qui présente des documentaires, ou d'autres qui demandent l'intervention des visiteurs. Telle toile abstraite doit-elle être conservée par le Musée? Telle autre, un peu trop explicite sur l'homosexualité, a-telle sa place?

Mais la surprise des surprises, c'est la raison pour laquelle le Musée des beauxarts de l'Ontario s'est agrandi, un projet de 276 millions de dollars. Le musée a en effet hérité des collections fabuleuses de Kenneth Roy Thompson (1923-2006), le plus grand collectionneur privé au Canada, en plus d'avoir reçu du richissime magnat de la presse un don de 100 millions de dollars. Au coeur des diverses collections, un joyau: Le massacre des Innocents, de Rubens.

Le Musée des beaux-arts de l'Ontario (Art Gallery of Ontario) est situé au 317, rue Dundas Ouest à Toronto.