Au «village des peintres» de Kinshasa, une poignée d'artistes congolais peignent des scènes de satire sociale, exerçant leur talent avec des couleurs lumineuses et chatoyantes comme pour conjurer un «Congo malade de tous les maux».

Avec ses doigts, Gypsie Mabanza mélange différentes peintures contenues dans de petites boîtes de sauce tomate recyclées, et les applique consciencieusement sur une toile fixée par de maigres clous.

Comme d'autres adolescents congolais abandonnés par leurs familles, il a commencé à peindre lorsque son talent pour les arts graphiques a été découvert dans le centre d'accueil où il est hébergé.

Il s'adonne à sa passion dans le «village des peintres» de la capitale: une série de baraquements et de petits ateliers de tôle et de planches, montés de bric et de broc, où traînent pêle-mêle pinceaux, boîtes de couleurs et crayons.

Dans «l'Atelier Mayemba», le propriétaire, François, qui donne aussi des cours de peinture deux fois par semaine à douze prisonniers mineurs incarcérés à la prison centrale de Kinshasa, explique que cet art est «toute sa vie».

«Je ne gagne rien, mais la peinture m'a donné la facilité de vivre, dit-il, le marché de l'art est en baisse, il n'y a presque plus de clients faute de touristes car les gens lisent dans les journaux qu'il y a la guerre».

«J'ai commencé à peindre en 1974 sous le gouvernement de Mobutu qui avait installé un village d'artistes dans le parc de la Révolution dans l'enceinte du jardin botanique de Kinshasa».

Mais il y a plusieurs années, «le village des peintres» a été déplacé face au jardin botanique survolé par des centaines d'oiseaux blancs au chant magnifique, tournoyant au dessus d'arbres majestueux.

«Je peins des scènes diverses de la vie, et même de l'art abstrait», poursuit François, un homme jovial et grisonnant.

Il exhibe fièrement les tableaux qu'il a réalisés sur des scènes de la vie kinoise: des bus métalliques d'un autre âge déjà bondés mais encore assiégés par des grappes humaines, des femmes vendant du pain à une foule au ventre gonflé par la faim. Les couleurs sont flamboyantes, les formes disproportionnées, un art naïf où les détails s'emparent de la toile.

À proximité, Kojak Lukau, pose des touches de peinture sur une basket pour masquer des déchirures comme un cordonnier.

Plus satirique, Andy Mbonda entend dénoncer dans ses toiles l'absurdité «de l'ONU et des grands dirigeants du monde occidental et de leurs épouses en train de danser au chevet d'un Congo malade de tous les maux».

«Le Congo est malade de la crise économique, de la famine, de la corruption de l'absence des droits de l'homme et du chômage», dit-il en bleu de travail.

«Pour ça, il faut un groupe de guérisseurs tradi-modernes occidentaux pour trouver une guérison», explique-t-il en racontant son tableau.

Dans un autre tableau de grand format, il entend dénoncer «l'absence de liberté de la presse». On y voit un journaliste enchaîné à terre dans une cellule, la bouche cousue, et les noms de dizaines de journalistes assassinés ou arrêtés à travers le monde en train de flotter dans sa prison, où micro, caméra et magnétophone sont cassés.

À la sortie du «village des peintres», Serge Shaita, psychologue de formation et «peintre depuis plus de dix ans», s'applique à finir par petites touches une toile.

Lui aussi tient à raconter son tableau: «Le président Joseph Kabila est au centre, à gauche c'est le rebelle Laurent Nkunda soutenu par des soldats indiens de l'ONU, à droite c'est un char américain en train de pousser des Chinois hors du pays et tout se passe sous le regard de tous les présidents congolais décédés».