Serge Lemoyne, un peu Cadet Roussel comme dans la chanson, avait une maison. Qui perdait poutres et chevrons. Il en fit une oeuvre d'art en progression à mesure que se déconstruisait la maison. Voici l'histoire incroyable d'une maison hantée par l'art.

«Quand j'étais petit, une partie de la maison des Lemoyne avait été transformée en unité sanitaire. On allait là se faire vacciner. C'est comme ça que j'ai eu la piqûre», dit François Gauthier en riant. Cet enseignant né en 1960 à Acton Vale, a, lui aussi, une oeuvre en progression: «rapailler» Serge Lemoyne, artiste très éparpillé, prince du Pop Art, mort il y a 10 ans, à l'âge de 57 ans. C'est Gauthier qui a eu l'idée de cette exposition présentée à la Chapelle du Bon-Pasteur jusqu'au 18 décembre. Une exposition faite de morceaux de maison, d'oeuvres plus officielles et de photographies.

 

À la mort de sa mère, Lemoyne avait hérité de la maison familiale, ancien magasin général situé près de la gare, en fort mauvais état. Dépourvu de moyens pour la restaurer, il s'en servit de diverses manières. Comme atelier d'abord. Pour y exposer ses propres oeuvres sur la «galerie», qui faisait le tour du bâtiment. Comme canevas sur lequel il intervenait, et où tous étaient invités à laisser leur marque au cours d'événements. Comme source d'inspiration à des séries de tableaux et de sculptures...

La municipalité, qui n'a jamais apprécié, a fini par exiger la restauration ou la destruction de la maison devenue danger public. Il y eut deux procès qui s'étirèrent sur plusieurs années. La maison fut à deux reprises déclarée oeuvre d'art en progression, sous la protection du ministère des Affaires culturelles.

La griffe de Lemoyne et du hasard

L'histoire ne s'arrête pas là. Serge Lemoyne fut emporté par un cancer foudroyant. Il eut toutefois le temps d'installer sur son terrain un ensemble de blocs de béton peints à sa manière, et destiné à devenir son tombeau. C'est dans ce cube que ses cendres furent déposées en 1998. En 2000, la «maison-oeuvre-d'art» fut détruite dans un incendie criminel. Devant l'arrivée précipitée des bulldozers de la ville, la Fondation Lemoyne obtint le droit de ramasser les morceaux qui restaient et qui ont, par la suite, été entreposés dans de mauvaises conditions. À la place de la maison se trouve aujourd'hui un petit parc où une sorte de kiosque tout joli, qui reprend les motifs chers à Lemoyne, a été érigé. Quant au cube en béton, urne géante, il a été recouvert de planches de bois pour faire «plus propre» ...

Pour raconter cette histoire digne d'un champion de l'art contemporain international, François Gauthier a rassemblé un ensemble de morceaux récupérés, transformés en sculptures ou en tableaux portant la griffe de Lemoyne - mais en vérité choisis par le hasard, c'est-à-dire sauvés du feu. Ces morceaux seront-ils considérés comme des oeuvres d'art au même titre que les autres tableaux de l'exposition, oeuvres plus officielles comme celles qui se retrouvent aujourd'hui dans les musées? François Gauthier ne le sait pas.

L'exposition prend tout son sens grâce à une série de très belles photographies de Louis-Philippe Myre prises deux semaines après la mort de Lemoyne, avant que le vandalisme et le feu ne détruisent la maison. L'une d'elles est particulièrement touchante. On y voit un grand panneau noir sur lequel on peut lire «Biennale de Montréal 1998» (Serge Lemoyne devait y participer, à distance, filmé chez lui grâce à une caméra web, ce qui n'était pas évident à l'époque.) On y voit aussi le cube mortuaire, dans son état originel, sur lequel il est écrit: «Les seules voies à suivre se découvrent par le désir...» Une phrase empruntée au poète Claude Gauvreau.

Une maison qui n'est pas une maison, Chapelle historique du Bon-Pasteur (100, rue Sherbrooke Est), jusqu'au 18 décembre. Vernissage cet-après-midi, à 14h30. Bernard Lévy, directeur de Vie des arts, rendra hommage à Lemoyne. Entrée libre.