Diana Thorneycroft, une artiste de Winnipeg, fait des contorsions avec les clichés canadiens dans une série de montages photographiques mêlant figurines et paysages du Groupe des sept. Group of Seven Awkward Moments est présenté à la galerie Art mûr. C'est très drôle.

De loin, on croit voir des scènes amusantes, enfantines même, chantant les louanges du Canada. Une «police montée» par-ci, un drapeau canadien par-là, des joueurs de hockey, des Inuits, des enfants qui jouent dans la neige entourés d'orignaux, d'ours, de cerfs... Comme c'est gentil tout ça!Erreur! Et même horreur parfois. L'enfant sous le drapeau du Canada a la langue collée sur la hampe, tandis qu'une autre langue tient là toute seule, qu'un deuxième enfant est étendu dans la neige, du sang autour de lui, et qu'un petit chien tient la langue d'un troisième enfant dans sa gueule. Aurions-nous un problème de langues au Canada? La scène se déroule dans une clairière enneigée. Le fond est emprunté à un paysage de Tom Thompson, In Algonquin Park.

Dans cette série d'une quinzaine de scènes, on retrouve les mêmes éléments: des figurines et des jouets courants pour représenter les personnages et, comme décor, un fond emprunté surtout aux peintres du Groupe des sept, et en particulier à Tom Thomson, celui dont la mort - par noyade dans un lac - reste un mystère.

Ces artistes du début du XXe siècle ont créé les premières images vraiment canadiennes, loin des influences britanniques et européennes. Des paysages sauvages où l'homme, pas même l'Indien, n'a jamais mis le pied. Leurs oeuvres, qui ont participé à la création d'une identité canadienne, sont aujourd'hui des clichés du Canada. Les paysages québécois de la même époque sont différents, ils sont habités. On y voit des maisons, des routes, des gens.

Diana Thorneycroft s'intéresse aux questions identitaires, ici, à l'identité collective, à l'image que les Canadiens veulent donner d'eux-mêmes, celle d'un peuple pacifique aimant la nature. Prenons un autre exemple. Une petite foule joyeuse est rassemblée dans un parc. Les enfants s'amusent. L'homme accueillant, assis sur un banc, a la braguette ouverte, deux mamans boivent non pas du lait au chocolat, mais de l'alcool, un orignal est monté sur un cerf, et le même petit chien que l'on a vu dans un tableau précédent s'y promène, une autre langue que la sienne dans la gueule.

Parlons donc de ces Canadiens qui aiment tellement la nature. Dans une autre scène, on retrouve les totems peints par Emily Carr. Ils sont entourés de castors qui les grugent, d'un bûcheron qui s'approche d'eux avec sa scie à chaîne. Un singe s'envole dans le ciel, saisi par l'aigle américain. Emily Carr, qui aimait s'entourer d'animaux, comptait un singe dans sa ménagerie.

Les montages de l'artiste de Winnipeg fourmillent de détails que l'on ne voit pas toujours immédiatement. Ils valent la peine que l'on s'y attarde. Ils parlent du peuple canadien, de ses rêves de pureté, et de sa réalité. Avez-vous déjà vu un iglou brûler? Il y en a un à la galerie Art mûr. Aussi des joueurs de hockey qui tombent sous la glace d'un lac gelé.

Jolie petite fille aux grands yeux

Dans les salles voisines, toujours à la galerie Art mûr, Janieta Eyre présente, elle aussi, des montages photographiques. Mais d'un tout autre ordre. La série de photos met en scène une jolie petite fille aux grands yeux - la fille de l'artiste montréalaise - dans diverses positions qui évoquent les tableaux de Balthus, ce peintre des fillettes langoureuses. L'ensemble est fascinant. La fillette, dont les yeux changent de couleur, sont blessés ou vides, semble dotée de pouvoirs surnaturels. La série s'intitule In The Scream Of Things.

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Group of Seven Awkward Moments, Diana Thorneycroft, et In The Scream Of Things, à la galerie Art mûr (5826, rue Saint-Hubert) jusqu'au 2 novembre. Entrée libre.