Sophie Gironnay, qui fut pendant plusieurs années critique d'architecture et de littérature, réunit ses deux passions dans un événement qui repousse les frontières des deux disciplines hors des sentiers battus. Cela donne Archi-fictions, prise 2, à la galerie Monopoli. De quoi dérouter.

Frontières émouvantes est d'ailleurs le thème de ces deuxièmes Archi-fictions réunissant architectes et écrivains dans une aventure qui oblige les uns et les autres à sortir de leur «zone de confort», pour reprendre l'expression de Mme Gironnay, directrice de ce centre d'artistes spécialisé en architecture et en urbanisme.

 

Il faut bien comprendre ici que le sens du mot «frontières» sort lui-même des frontières habituelles pour s'étendre à tout ce qui sépare non seulement les États, mais aussi les sociétés, les classes sociales, les gens, les espèces vivantes, etc. sur le plan géopolitique, social, culturel et autre.

Il y a donc, d'un côté, six architectes de renom qui créent des installations. De l'autre, six écrivains connus qui créent des nouvelles, ou un texte dramatique quand il s'agit d'un dramaturge. Architectes et écrivains se rencontrent ou s'écrivent au cours de l'année pour partager leurs vues sur le thème imposé. Et font leur oeuvre chacun de son côté. À ces couples s'ajoutent six comédiens qui, les trois soirs du vernissage, lisent à haute voix les textes des écrivains, «pour donner un impact dans l'espace que les installations occupent», explique Sophie Gironnay. La performance des comédiens est enregistrée. Et tout cet ensemble forme un catalogue d'une grande qualité. Oeuvre cette fois de la commissaire Gironnay.

Deux exemples

Prenons un bel exemple. François Barcelo, prolifique auteur, est associé à l'architecte Michel Langevin. Dans sa nouvelle (Le premier Hansien), Barcelo raconte l'histoire cocasse de soldats canadiens qui s'installent dans l'île de Hans pour en être les premiers venus et confirmer canadienne cette petite île à la frontière du Groenland, également revendiquée par le Danemark. Or, les Danois l'occupent déjà d'une manière insolite: des soldates enceintes jusqu'au cou sont sur place, dont l'une met au monde le premier Hansien. Les soldats canadiens vont-ils tuer ces barbares? L'installation de Michel Langevin est constituée d'une table ronde dont le dessus représente la Terre vue du pôle Nord. L'île de Hans est indiquée par un petit point. Dans une douzaine de bulles de verre où tombe de la neige se trouvent celés des clichés du Nord: iceberg, Inuit chasseur, et autres. Le titre: Paysage fondant. Quand la planète se sera bien réchauffée, le passage à l'Arctique sera ouvert 120 jours par année, donnant accès aux ressources pétrolières et au contrôle de la région. D'où l'intérêt des deux pays frontaliers pour s'en emparer... Le texte de Barcelo sera lu par Geneviève Brouillette le 25 octobre.

Un autre exemple. Éric Dupont, auteur de La logeuse et de Bestiaire, est associé à l'architecte Marc Pape. Les frontières dont il est question dans sa nouvelle intitulée Sous toute réserve sont celles de la réserve innue en plein coeur de Sept-Îles, celles entre Autochtones et Blancs, francophones et anglophones, aidants et aidés, orignaux et caribous... Marc Pape a créé une installation toute faite de contrastes. C'est une habitation un peu labyrinthique évoquant le tipi, toutes voiles noires tendues mais qui laissent néanmoins passer la lumière à l'intérieur. On peut s'y asseoir au fond et lire... Le texte d'Éric Dupont sera lu par Patrick Drolet le 25 octobre.

Résultat de l'aventure pour le visiteur: il entre dans la galerie, déchiffre les installations qui demandent parfois à être habitées, prend place dans un fauteuil pour lire les nouvelles, ou les écouter dans un baladeur. Chaque nouvelle dure environ une demi-heure. Et il repart ensuite avec le catalogue (35$) qui permet de garder en mémoire toutes les ramifications complexes de cette étrange chorale.

Les Archi-fictions, Frontières émouvantes, à la galerie Monopoli, du 23 octobre au 1er mars 2009. Entrée libre sauf les trois soirs de vernissage (23, 24 et 25 octobre, entrée 25$ par soir). 181, rue Saint-Antoine Ouest; infos: www.galeriemonopoli.com ou 514-868-6691.

Les autres participants sont Annick La Bissonnière et Hélène Monette, texte lu par Annick Bergeron; Éric Gauthier et Larry Tremblay, lu par Sébastien Ricard et Ariel Ifergan; Richard de la Riva et Serge Lamothe, interprété par Hélène Loiselle; Jean-Pierre Chupin et Catherine Mavrikakis, lue par Pascale Montpetit.