Les chandails de Nirvana sont de nouveau sur les étagères, des séries populaires de la fin du XXe siècle, comme Roseanne, font leur retour à l'écran et, dans la rue, on arbore les semelles compensées et les salopettes en jean propres au look nineties... Les indices d'un retour des années 90 sont nombreux, alors que notre époque semble marquée d'un irrépressible besoin de puiser dans le passé.

«Jusqu'à la fin des années 90, la culture populaire était dans un cycle de nouveauté constante, explique Antonio Dominguez Leiva, auteur et professeur spécialisé en histoire culturelle, qui a aussi cofondé la revue Pop-en-stock. C'était ce qui était nouveau qui vendait, par son côté radical surtout.»

De nos jours, les gens cherchent plutôt à retrouver les anciennes tendances, juge-t-il. «C'est là où on est dans un cycle infini de remakes, de reboots, où toutes les figures du passé reviennent.»

Une décennie culturelle «très stimulante»

C'est dans ce contexte que les années 90 font un retour marqué. «Il suffit d'aller dans n'importe quelle boîte de nuit pour constater à quel point la musique des années 90 y est populaire, dit Antonio Dominguez Leiva. Même chose dans les festivals, où il y a plein de bands qui continuent d'exister avec les années 90.»

Car la musique de cette période est toujours prisée. Les Smashing Pumpkins sont de retour en tournée cette année, les Pixies ont repris du service il y a quelques années après une pause de 10 ans, et les Breeders (de l'ex-Pixie Kim Deal) viennent de lancer un album acclamé. Bien que le groupe ait disparu à la suite de la mort de Kurt Cobain, la musique de Nirvana conserve une certaine popularité.

Du côté pop, les Spice Girls ont confirmé qu'elles allaient revenir à l'avant-scène, mais on ignore encore de quelle manière. «Elles ont été le début d'un type de stardom féminin [...] qui est devenu la norme, d'où leur potentiel retour», signifie Antonio Dominguez Leiva.

Le professeur note également les séries télévisées comme Roseanne, qui est reconduite 20 ans après sa dernière saison, ou encore Everything Sucks!, une nouvelle série de Netflix qui constitue «un hommage dans la lignée de ce que faisait Freaks and Geeks».

Le désenchantement post-années 90

Alors que la culture populaire est en perpétuelle réinvention ou réappropriation du passé, les années 90 ne sont pas les plus reprises (les années 80 le seraient plutôt, selon l'expert), mais la rupture entre cette époque et le XXIe siècle est de conséquence.

«La barrière de la "rétromanie" est placée aux années 2000. Nous ne sommes pas coupés de cette époque, alors qu'on sent bien qu'il y a un fossé entre les années 90 et nous.»

La dernière décennie du XXe siècle a vu l'avènement du grunge, du gangsta rap, mais aussi «toute une ébullition de la musique électronique». Mais de nos jours, aucun style distinct n'a vraiment fait sa marque.

Alors qu'un fort message contestataire était véhiculé à l'époque, les artistes de cette vague «se sont fait complètement avaler par les majors et sont devenus d'immenses succès commerciaux, une des raisons pour lesquelles Kurt Cobain a été très malheureux, par exemple».

Dès lors, un sentiment de désillusion s'est imposé, «une déception ultime», dont la culture ne s'est pas relevée. «C'est vraiment là où le paradoxe, l'oxymore de la révolte consommée, éclate au grand jour, explique M. Dominguez Leiva. Et c'est sur ce désenchantement de la révolte consommée que commence le XXIe siècle, du point de vue de la culture populaire.»

Réutiliser l'esthétique

«Les années 90 ont été culturellement très stimulantes, affirme Antonio Dominguez Leiva. Ce qui nous revient, cependant, c'est surtout un héritage mainstream.»

Bien qu'il identifie les années 90 comme la dernière décennie réellement contestataire à travers sa culture, le côté révolté de celle-ci n'a pas transcendé le siècle. «Durant le no-future punk, il y a eu une sorte d'électrochoc, alors que là, nous sommes dans une sorte de no-future maussade», illustre-t-il.

Ainsi, c'est plutôt la proposition esthétique de la décennie 90 qui est réutilisée.

«On n'est pas vraiment intéressés à les revisiter de façon historique, on est surtout intéressés à les réexploiter d'un point de vue esthétique, à recapitaliser les modes.»

Sur le plan vestimentaire, par exemple, des boutiques populaires vendent des t-shirts de groupes grunge à des consommateurs beaucoup moins intéressés par le discours dénonciateur que portait leur musique que par le fait qu'il est au goût du jour de porter ces vêtements. Tommy Hilfiger et Calvin Klein refont une percée avec des modèles d'il y a plus de 20 ans, le jean est partout: bref, l'esthétique nineties plaît, mais rien n'indique que cette fascination ait dépassé l'image.

«La rétromanie se réapproprie tous les termes du passé», conclut M. Dominguez Leiva. Ce phénomène serait révélateur d'une sorte de «vide» dans notre culture populaire. «Ce qui est venu après les années 90, c'est surtout un regard vers le passé. Comme il n'y a pas eu de cycle de nouveauté, quelque chose qui aurait complètement transformé la donne, qui aurait rendu caduques toutes propositions antérieures, on est resté dans une sorte de limbes très étrange où on n'a rien de nouveau.»

Photo Scott Patrick, fournie par Netflix

La nouvelle série de Netflix Everything Sucks ! constitue « un hommage dans la lignée de ce que faisait Freaks and Geeks », souligne l'auteur et professeur spécialisé en histoire culturelle Antonio Dominguez Leiva.

Sortis de la fripperie

Coup d'oeil sur cinq artistes ou oeuvres tout droit ressurgis des nineties.

Les Smashing Pumpkins

Les Smashing Pumpkins se sont reformés il y a quelques mois et ont annoncé une grande tournée nord-américaine. Pour la tournée Shiny and Oh So Bright, qui passera par le Centre Bell le 7 août, tous les membres du groupe rock alternatif sont de retour, à l'exception de la bassiste D'arcy Wretzky. La formation, qui s'est elle-même inspirée du rock alternatif des années 80, fait partie des groupes phares de la génération 90. Le groupe a d'ailleurs indiqué qu'il ne jouera que des succès de cette période lors de sa tournée qui s'amorce en juillet. - Marissa Groguhé

Les Spice Girls

Des rumeurs de retrouvailles ont émergé par le passé sans se concrétiser, mais il semble que cette fois soit la bonne. En début d'année, on apprenait que les cinq «filles épicées» auraient accepté de se réunir après plus de six ans de silence (leur dernière apparition sur scène date de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Londres). Des médias britanniques ont annoncé que Victoria Beckham, la Spice Girl la plus réfractaire à l'idée d'une réunion, s'était laissé convaincre. Cet ultime retour d'un des groupes emblématiques des années 90 n'a pas encore de dates fixées. Formé en 1994, le «girl group» composé d'Emma, Mel B, Mel C, Victoria et Geri a connu un succès immédiat, véhiculant une image de femmes indépendantes et libérées qui trouvera sûrement son public de nos jours. - Marissa Groguhé

Les filles de Caleb

L'adaptation des romans d'Arlette Cousture en séries télévisées a été parmi les phénomènes marquants des années 90 au Québec. Les téléséries Les filles de Caleb et Blanche ont été diffusées entre 1990 et 1993, rivant des millions de téléspectateurs devant leur poste. Le producteur Christian Larouche a tout récemment fait connaître son projet de porter au grand écran le troisième et dernier tome de la saga familiale de Cousture, L'abandon de la mésange. Adapté par la scénariste Catherine Léger (Charlotte a du fun), il pourrait donner lieu à deux films, d'après Christian Larouche. Le projet n'a pas encore eu le feu vert des institutions. - Marissa Groguhé

Toni Braxton

L'artiste R&B Toni Braxton n'en est pas à son premier «come-back». Après une série de pauses et de retours, celle qui s'est d'abord fait connaître au sein du groupe des années 80 The Braxtons, aux côtés de ses soeurs, prévoit sortir un neuvième opus, dont le premier single est paru en septembre dernier. Pour son retour, l'interprète du succès Un-Break My Heart mise sur ce qui lui a permis de se démarquer dans ses grandes années: un son soul sensuel et une voix singulière, qui lui ont valu sept prix Grammy et plus de 60 millions de disques vendus. - Marissa Groguhé

Mad About You

Le retour des séries télé des années 90 est une tendance lourde: après Full House, Roseanne et Murphy Brown, on a appris récemment que la comédie Mad About You allait avoir une suite. La sitcom qui a révélé le talent de la comédienne Helen Hunt (gagnante de quatre prix Emmy pour son rôle!) a tenu l'antenne à la chaîne NBC de 1992 à 1999. Le projet de suite, produit par Sony Pictures TV, n'a pas encore de diffuseur, mais les deux vedettes de la série (Hunt et Paul Reiser) ont accepté d'y reprendre leurs rôles de Jamie et Paul Buchman, autour desquels gravitait une galerie de personnages colorés et d'«invités surprises» (l'ex-maire Rudy Giuliani, l'ex-vice-président Al Gore et autres gros bonnets). Bel exemple d'équité: les deux comédiens gagnaient le même salaire - 1 million par épisode - pour la septième et ultime saison de la série, une exigence prévue dans leurs contrats. - Frédéric Murphy

photo Chris Pizzello, archives associated press

Billy Corgan, chanteur des Smashing Pumpkins