Un front commun de l'industrie culturelle reviendra à la charge contre une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) qui mettrait en péril, selon lui, les productions originales francophones.

Ainsi, l'Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ), l'Association québécoise de la production médiatique (AQPM), l'Alliance québécoise des techniciens de l'image et du son (AQTIS), l'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ), la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC) et l'Union des artistes (UDA) ont décidé de joindre leurs forces et déposeront, d'ici la date butoir du 29 juin, des requêtes au gouverneur en conseil pour demander la révision de la décision du CRTC.

«À court et à long terme, il va y avoir des répercussions dans la production francophone originale. Ça ne peut pas faire autrement, car le CRTC a assoupli ses règles. Qui va dire: "Non, on sera plus catholique que le pape, et on va laver plus blanc que blanc, et on va faire mieux que ce que propose le CRTC?" C'est clair que ce ne sera pas le mandat des réseaux», a fait valoir en entrevue téléphonique, mardi, la présidente de l'UDA, Sophie Prégent.

Les groupes feront notamment valoir qu'en «supprimant les conditions de licence» pour la production originale de langue française, le CRTC n'a pas tenu compte des objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion, y compris le respect de la dualité linguistique.

Le 15 mai, dans une décision portant sur les demandes de renouvellement des licences de diffusion des groupes désignés de langue française soit TVA, V Media, Corus et Bell, le CRTC ne leur a imposé «aucune obligation d'allouer les sommes dépensées pour les émissions canadiennes et celles d'intérêt national à des productions originales de langue française», affirment ces groupes, mardi, dans un communiqué.

De plus, selon le front commun, le CRTC a aboli la principale source de financement des vidéoclips québécois francophones.

Les porte-parole des six organismes ont soutenu par communiqué être convaincus que cette décision «fera très mal à l'industrie, qu'elle se traduira par une diminution substantielle de la production et des pertes d'emplois pour tous».

La fin imminente du mandat du président du CRTC, Jean-Pierre Blais, semble compliquer la tâche du front commun.

M. Blais a affirmé qu'il ne briguera pas de nouveau ces fonctions, alors que son mandat de cinq ans - marqué par ses différends avec l'industrie et la mouvance du paysage technologique - vient à échéance samedi. Son successeur n'a pas été désigné.

«Le CRTC a un travail à faire qui va au-delà de la fonction de M. Blais», a toutefois soutenu Mme Prégent.

«(La récente décision du CRTC) répond à un besoin probablement de performance de télévision canadienne qui pourrait à la limite se projeter et se comparer aux plus grands de ce monde, les Netflix et cie», a-t-elle poursuivi.

Mme Prégent a affirmé que le front commun estime que le CRTC a «erré» dans ce dossier.

«Ce n'est pas de cette façon que l'on préserve un contenu original francophone. (...) Le CRTC aurait dû regarder la façon différente et originale de faire de la télé francophone, pas juste trouver un mode d'emploi qui fit pour la télé canadienne au grand complet. Le bassin n'est pas le même, nous n'écoutons pas la même télé que le reste du Canada anglophone, nous ne le faisons pas de la même façon. On a l'impression qu'on a trouvé comme un (modèle) unique aux maux de la télévision canadienne en général.»

Les groupes du front commun ont également tenu à saluer l'intervention du ministre de la Culture du Québec, Luc Fortin, qui a demandé le réexamen de la décision.

Le 26 mai, M. Fortin a écrit à son homologue fédérale, Mélanie Joly, pour lui faire part de sa «vive inquiétude» quant à l'abolition de certaines conditions de licence. Le ministre Fortin citait en exemple la suppression de l'obligation pour Séries+ d'allouer au moins 1,5 million $ chaque année à des émissions dramatiques francophones.

Dans une lettre envoyée aux médias quelques jours plus tard, le président du CRTC a argué que cette exigence a été substituée par de nouvelles conditions qui contraindront la chaîne à «consacrer potentiellement plus de 7,8 millions $ par année à l'acquisition ou la production» de contenu canadien en français.

Les renouvellements de licences accordés le 15 mai avaient également suscité la crainte que de grands groupes de propriété de langue française se contentent de doubler du contenu canadien-anglais. Or, M. Blais a soutenu, également dans cette lettre, qu'il était «impossible» que des coûts de doublage comblent leurs exigences de dépenses.

Mme Prégent a dit garder espoir d'une révision de la décision, tout en reconnaissant que la date butoir - et le départ de M. Blais - laisse très peu de temps au front commun.

«Il va falloir que l'on devienne un peu un chien de garde. Autrement dit, si on n'est pas capable d'avoir une révision complète, chaque fois qu'il y aura une production qui va tomber ou qui ne se fera plus, ou une production anglophone originale traduite ou doublée, là il va falloir toujours agir comme chien de garde en disant »ce n'est pas nécessairement du contenu francophone original, c'est un contenu francophone doublé«. Cela ne fait pas fonctionner le milieu de la production francophone», a précisé la présidente de l'UDA.