Quand ils l'ont connu en 1962, les Beatles devaient déjà lui donner du Sir. George Martin était alors un vieux monsieur de 36 ans, dont la formation classique, les états de service à la BBC et chez EMI ainsi que les complets sobres tranchaient nettement avec ces quatre garçons dans le vent.

C'est pourtant ce gentleman tout ce qu'il y a de plus british qui a décelé chez les Beatles ce que le label Decca n'avait pas deviné: du talent, brut certes, de l'imagination et de l'ambition. Cette improbable alliance entre le réalisateur et ses quatre nouveaux amis allait révolutionner la musique populaire à l'échelle planétaire.

Contrairement à un Andrew Loog Oldham, qui avait dû enfermer Mick Jagger et Keith Richards dans une pièce pour forcer les deux Stones à écrire leurs propres chansons, George Martin avait en John Lennon et Paul McCartney deux jeunes hommes qui en avaient déjà des dizaines dans leurs cartons. L'ennui, c'est qu'ils ne pouvaient écrire «une chanson décente», a déjà affirmé Sir George.

«Ce fut une évolution graduelle», dira-t-il avec le recul, dans les pages de La Presse, à un Michel Rivard «fébrile comme un ti-cul» de rencontrer son idole à Las Vegas, à l'occasion de la première du spectacle Love du Cirque du Soleil, en 2006.

«Au début, à l'époque de Love Me Do, leur musique était assez primitive et mon rôle se limitait à la structurer et à la préparer à l'enregistrement, avait confié Sir George à Michel Rivard. Puis, après cette première phase, je me suis mis à contribuer à l'arrangement avec des parties de clavier et nous sommes devenus une sorte de groupe à cinq. Avec Rubber Soul et Revolver, leur musique est devenue plus réfléchie, plus complexe.»

Un apport inestimable

George Martin a déjà attribué à la rivalité entre Lennon et McCartney le progrès époustouflant des deux auteurs-compositeurs. Cela dit, l'exceptionnel talent de John, Paul, George et Ringo aurait-il pu éclore aussi librement s'ils n'avaient pas eu un complice de la stature de George Martin? Un musicien d'expérience qui pouvait jouer du piano, de l'orgue, de l'harmonium, du clavecin et même chanter en studio avec eux, mais qui pouvait également garder le fort pendant qu'ils se livraient à leurs élucubrations?

George Martin a peut-être grimacé quand ses protégés se sont mis à trafiquer des bandes pour la chanson Tomorrow Never Knows. C'est pourtant lui qui a permis à Lennon de construire l'ambitieuse Strawberry Fields Forever à partir de deux enregistrements dans des tonalités différentes.

C'est George Martin qui a suggéré aux Beatles de mêler La Marseillaise, Greensleeves et In the Mood à leur All You Need Is Love pour donner une saveur internationale à cette chanson qui allait faire l'objet d'une télédiffusion mondiale à l'été 1967. C'est le même homme qui a mixé et monté Revolution 9, le collage de l'album blanc qui allait devenir un sommet de délire dans la discographie des Beatles.

Son audace était encore belle à entendre quand, avec son fils Giles qui lui prêtait ses oreilles en raison de ses problèmes d'ouïe, il a relevé le défi de Love à 80 ans bien comptés.

«Chaque fois que quelqu'un - même George Martin - remixe de la musique comme pour Love, c'est une interprétation, ce n'est plus la pièce d'origine», nous disait en 2009 l'ingénieur Allan Rouse qui a rematricé les albums des Beatles avec la révérence réservée au Saint-Graal de la musique populaire.

D'autres que George Martin, plus conservateurs, auraient refusé net cette proposition. Sa réaction? «My goodness, quelle idée extraordinaire, quel défi magnifique!», a-t-il confié à Michel Rivard une fois son travail accompli. Et c'est ainsi que grâce à Sir George, on peut entendre un remix magnifique dans lequel une Strawberry Fields Forever dépouillée, façon Anthology, se termine par une joyeuse orgie musicale intégrant Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, le clavecin de Piggies, la trompette de Penny Lane et les choeurs de Hello Goodbye.

«George Martin est mon idole. C'est l'un des plus grands réalisateurs de disques, toutes époques confondues. Je l'admire, je le respecte et je trouve que tout ce qu'il a fait est merveilleux», nous a dit en 2013 Tony Visconti, qui a été de la création de plusieurs des meilleurs albums de David Bowie.

Ils sont nombreux dans la grande confrérie des réalisateurs de disques à vouer à George Martin pareille admiration.