«N'oublie pas ce que je t'ai dit, maman. Souris, mais lève la tête! Pense à ton double menton», lance Sophie Nélisse, légèrement effrontée, à sa mère.

Dans quelques minutes, la comédienne de 14 ans ira retrouver le photographe de La Presse, Marco Campanozzi, pour une séance photo. Invitée spéciale du cahier des Arts, Sophie a un horaire très chargé, qui l'a menée de Berlin à Los Angeles en passant par Montréal.

Mais dans sa vie assez jet-set, ce n'est pas Sophie qui surprend, mais bien sa mère, Pauline Belhumeur. Mère de trois enfants (âgés de 17, 14 et 10 ans), elle a quitté son emploi d'enseignante, permanente et syndiquée, pour devenir gérante à temps plein de Sophie, en 2013.

La tâche, ou plutôt la mission, qu'elle s'est donnée est tout sauf facile.

«On passe énormément de temps ensemble. Quand elle part en tournage, comme à Berlin pour le film The Book Thief, j'y vais avec elle et on se voit 24 heures sur 24. On mange ensemble, on dort dans la même chambre, c'est moi qui lui fais l'école. Ce serait mentir que de vous dire qu'on ne se tombe pas mutuellement sur les nerfs», confie Mme Belhumeur.

En posant la même question à Sophie, on voit bien que cette «mère-gérante-enseignante-mais-surtout-très-patiente» n'exagère pas.

«Ma mère est très dévouée, mais on s'énerve mutuellement. On se fait beaucoup de reproches, comme un vieux couple. Mais je suis sa première préoccupation et je passe avant ses propres besoins», dit la jeune adolescente.

Loin des yeux, près du coeur

Devenir gérante d'une actrice qui fait carrière à l'international comporte son lot de sacrifices, explique Mme Belhumeur. Comme celui, très difficile, de quitter ses deux autres enfants pour plusieurs mois, dont la plus jeune, qui rêve de faire le même métier que sa soeur.

«J'ai l'impression de délaisser ma famille. C'est vraiment crève-coeur de partir aussi longtemps sans les voir, surtout ma plus jeune. J'ai peur de faillir à ma tâche de mère», confie-t-elle.

Mais la famille Nélisse est habituée aux horaires contraignants. Dès l'âge de 3 ans, Sophie s'est entraînée en gymnastique. Cela représentait 30 heures par semaine, 50 semaines par année, jusqu'à tout récemment. Et c'est sans compter le régime alimentaire contraignant qui vient avec la vocation d'athlète qui vise les Jeux olympiques.

Cette vitesse de croisière effrénée a en partie mené son couple à la dérive, avoue aujourd'hui Mme Belhumeur. Mais le père demeure très présent.

Malgré la séparation, il habite toujours le duplex familial, à Montréal, mais vit désormais au deuxième niveau. Il descend dans le logement principal quand Sophie et sa mère partent en tournée.

«Est-ce que ce serait ainsi si ma fille n'était pas au cinéma? Je n'en sais rien. Mais nous sommes tous les deux en très bons termes et ça facilite beaucoup la logistique familiale», dit-elle.

Gérante le jour, mère toujours

À La Presse, Pauline Belhumeur donne les dernières consignes à Sophie avant son entrevue avec Nathalie Petrowski. «Ton agent vient de m'appeler. Voici ce que tu peux lui dire par rapport au projet», dit-elle.

Quelques secondes plus tard, la jeune actrice lui pose la même question pour la troisième fois. Visiblement exaspérée, la mère-gérante lève les yeux au ciel et lâche un: «Voyons, Sophie.» Mais comme le dit Sophie: «Une chance qu'elle est là, car elle est essentielle pour ma carrière.»

Les propositions de projets se succèdent sans cesse.

«Sophie choisit 80% de ses projets, dit sa mère, mais j'ai aussi mon mot à dire. On lui a offert des rôles où elle se faisait violer. Mais elle n'a pas encore [la maturité] pour assumer ce genre de défi. [...] On lui a aussi proposé des scènes de nudité. Mais encore une fois, en tant que mère, je dis non. Je ne veux pas.»

Complices avant tout

Le temps est venu de prendre la photo pour ce reportage. «Mais là, touche-moi pas! Il y a trop de rapprochement, je trouve», s'esclaffe Sophie, le regard espiègle.

«Maman, la tête que tu fais. C'est vraiment drôle», poursuit-elle. Les deux femmes éclatent d'un rire franc. Malgré les tensions, on sent qu'elles sont complices avant tout.

Pauline Belhumeur travaille fort pour que sa fille ne se métamorphose pas en une Miley Cyrus insolente ou un Justin Bieber irresponsable.

«En ce moment, ils disent que je suis dans ma crise d'adolescence, où je n'aime pas mes parents», dit Sophie.

«Mais, en fin de compte, malgré les défis, on arrive à bien s'entendre», répond sa mère.

«Mais oui, c'est vrai que je l'aime, ma mère», renchérit l'actrice. Pour une rare fois, à son grand plaisir, c'est finalement elle qui aura eu le mot de la fin.