Coup de gueule - Tristan Malavoy vient de faire paraître un mini-album numérique, Quatre, sous étiquette Audiogram (en collaboration avec Jérôme Minière, Ariane Moffatt et Joseph Marchand). Chanteur et poète, l'ancien rédacteur en chef de Voir n'a pas complètement quitté le journalisme culturel. Il signe depuis janvier deux pages sur la culture dans le magazine L'actualité. Discussion sur le journalisme avec un artiste critique.

Je m'intéresse au fait que tu es à la fois journaliste et artiste, d'un côté et de l'autre de la clôture... As-tu toujours voulu être l'un et l'autre?

Ceux qui me connaissent savent que la trajectoire de l'auteur et du musicien est nettement antérieure à celle du journaliste. J'ai fait du journalisme, comme plusieurs, un peu par accident au départ. J'habitais Québec à l'époque et j'ai vu que l'hebdomadaire Voir cherchait un collaborateur à la section Livres. De fil en aiguille, cette incursion sur les terres du journalisme m'a permis de devenir chef de pupitre et rédacteur en chef (de Voir à Montréal). J'ai vu dans le journalisme culturel l'occasion d'ébruiter mes avis sur ceci et cela, mais l'écriture et la musique ont toujours été présentes. Depuis que j'ai quitté Voir il y a deux ans, je ne conserve qu'une seule chronique, à L'actualité. Et j'y tiens! Je m'occupe aussi d'une collection, Quai No 5, aux Éditions XYZ. Depuis ce temps, je ne fais plus de critique de livres. Ce serait trop sensible.

Quel regard poses-tu sur le journalisme culturel maintenant que tu t'y investis moins?

Je ne jouerai pas à la belle-mère du Voir! D'autres s'en chargent allègrement et j'ai toujours refusé de le faire. Mais je suis «content» de ne pas faire de journalisme culturel aujourd'hui. Ça se fait dans des conditions extrêmement précaires, qui me semblent souvent en deçà du minimum vital requis pour que ce soit bien fait. Le modèle se désagrège. Ça m'inquiète. On espère qu'un nouveau modèle rendra la pérennité du journalisme culturel possible. Tout ça est fragile. Catherine Voyer-Léger a fait paraître un livre, Métier critique, qui arrive à point nommé. C'est très intéressant, même si je ne suis pas d'accord avec tout. Le maillon critique est essentiel dans un écosystème culturel complet et sain. Il y a encore des gens extrêmement compétents, mais ceux qui commencent dans le métier arriveront-ils à gagner leur vie? Je me pose la question.

As-tu l'impression d'avoir quitté le navire avant qu'il ne sombre?

J'ai quitté le navire à un moment où j'avais l'impression qu'il n'y avait plus moyen pour moi de bien faire les choses comme je l'entendais. J'étais critique de décisions qui se prenaient dans le journal où je travaillais, mais il y avait aussi en parallèle l'appel de mon atelier d'écriture, de la musique, de la poésie. J'ai senti que je faisais cette réorientation au bon moment.

Tu poses un regard de journaliste sur le journalisme culturel. L'artiste en dit quoi, lui? Est-on mieux armé pour accepter la critique lorsqu'on a été un soi-même critique? Ou est-on plus critique de la critique?

(Rires) On est mieux préparé, je crois. On sait qu'une mauvaise critique ne suffit pas à couler un artiste et qu'une bonne ne suffit pas à le faire vivre pendant 10 ans. J'ai un peu plus de perspective qu'un jeune artiste qui débarque et qui a l'impression que, s'il lit quelques mauvaises lignes sur son album dans la presse, sa carrière est terminée. Par contre, l'épiderme reste sensible, ça c'est sûr. Dès qu'on parle de soi, la carapace se fendille. C'est vrai que je suis terriblement critique de ce que je lis, et pas seulement à mon sujet. Je trouve qu'il y a assez peu de critiques accomplis et rigoureux en ce moment au Québec. Il y en a quelques-uns, heureusement. Mais tous ne lisent pas les livres ni n'écoutent les disques au complet. Je sais que les conditions sont difficiles, mais quand on décide de faire ce métier, on joue un rôle important. Il faut être sérieux quand on critique un livre qui a été écrit pendant trois ans ou un disque sur lequel un artiste a travaillé pendant plusieurs mois. Ça prend un minimum de rigueur, et elle fait parfois défaut. Un autre élément qui m'inquiète, c'est de retrouver les mêmes éléments critiques un peu partout...

Il n'y a pas assez de notes discordantes, à ton avis?

Il y a un courant critique et tout le monde s'y accorde. Il n'y a pas assez d'intervenants pour qu'il y ait un réel désaccord avec le bruit qui est parti ou le feu qui vient de prendre.

Et c'est propre au Québec, tu penses? Parce qu'on est une plus petite société?

Fort probablement. On ne veut pas trop être dans la marge. On veut être dans le coup. On ne veut pas être celui qui détonne dans le tableau. Il n'y a pas une pluralité de voix comme ailleurs, un bassin de gens qui font du commentaire critique.

Le fait de créer, de savoir tout le temps qu'un artiste consacre à une oeuvre rend-il le critique plus indulgent ou empathique? Est-ce que cela brouille le jugement ou, au contraire, donne plus d'outils pour faire le travail journalistique?

C'est une bonne question. Très franchement, maintenant que j'écris plus que jamais et que j'accompagne des auteurs dans la dernière ligne droite de leur écriture comme éditeur, ça me rend plus empathique. Il doit y avoir une certaine objectivité dans le travail critique. Pour être transparent, je ne suis pas sûr que je ferais un aussi bon critique aujourd'hui qu'il y a 10 ans, à cause de ça. Et je le regrette!

Ses essentiels

LIVRE

L'âge de la parole de Roland Giguère

DISQUES

Mustango de Jean-Louis Murat (photo) et Shine de Daniel Lanois

FILM

Les bons débarras de Francis Mankiewicz

ARTS VISUELS

Le travail de Richard Serra

PHOTOGRAPHIE

Le travail de Gabor Szilasi