Voici notre palmarès annuel des 25 artistes de l'année. Ne vous étonnez pas de ne pas y retrouver Céline Dion et le Cirque du Soleil. Nous avons décrété l'an dernier qu'ils étaient dans une catégorie à part tellement leurs succès et leur rayonnement international sont exceptionnels.

Ce top 25 se compose d'artistes fort différents les uns des autres. Nous avons choisi de placer Fred Pellerin en première position parce qu'il est l'artiste rassembleur par excellence. En 2012, il a séduit tout le monde, y compris Céline Dion, en plus de créer un nouveau spectacle, de lancer d'un nouveau film et de rayonner aussi bien au Québec qu'en France.



1) Fred Pellerin : Le pouvoir de la fiction

Nathalie Petrowski

Pour un gars né et élevé à Saint-Élie, un petit village de la Mauricie de 1676 âmes où il vit toujours avec sa blonde et leurs trois petites, Fred Pellerin a fait du chemin; plus de chemin à 35 ans que certains feront dans toute une vie. Non seulement a-t-il remis au goût du jour, un art quasi disparu l'art du conte , mais grâce à ses mots, ses images, sa verve, sa sensibilité, sa fiction foisonnante, son délire langagier et son infini sens de la communauté, Pellerin a ressuscité un village et redonné une fierté à ses habitants.

L'année 2012 a été particulièrement fertile pour ce créateur hyperactif. À peine remis de son mariage avec l'OSM pour trois soirées magiques à la Maison symphonique il y a un an, le conteur de Saint-Élie a plongé dans les eaux de 2012 sans s'économiser: création d'un nouveau spectacle - De peigne et de misère - lancement d'un nouveau film - Esimésac - enregistrement d'une émission spéciale avec Céline Dion, le tout ponctué d'allers-retours entre le Québec et la France et d'une médaille de l'Ordre national du Québec, refusée pour cause de printemps érable, mais qu'il se promet bien d'aller chercher quand on l'y invitera.

Il y a un mois, j'ai fait le trajet jusqu'à Saint-Élie pour voir Fred dans son habitat naturel. Un soleil pâle planait sur le village mythique qui ce jour-là n'avait rien de mythique. Enlevez Fred Pellerin et Saint-Élie-de- Caxton est un village du Québec comme mille autres. Les maisons de la rue Principale ne sont pas particulièrement jolies. Et hormis le cimetière, l'église et l'épicerie du village rachetée par un Chinois, il n'y à rien à faire ni à voir à Saint-Élie, surtout l'hiver. Mais le pouvoir de la fiction de Fred, la force d'évocation de sa poésie avec ses traverses de lutin, son garage culturel et sa cosmogonie caxtonienne ont redessiné le village et l'ont nimbé d'une lumière féerique.

Un peu comme le personnage de La vie est belle, qui fait croire à son fils que le camp de concentration où ils ont échoué est un jeu, Fred a lui aussi détourné le réel pour à peu près les mêmes raisons: la réalité ne le satisfait pas. Pas la réalité de Saint-Élie. Celle du monde dans lequel nous vivons.

«La réalité, dit Fred, celle qu'on nous offre est souvent déjà passée par le moulin. À l'époque où on se trouve, le moulin n'est pas banal: on se le vire en accélérant l'accélération, on lui nourrit les meules aux chiffres et aux autres piasseries. Or donc, ce qu'on nous offre comme réalité est souvent mal biaisé. Aujourd'hui tout peut être présenté en chiffres: l'éducation, la poésie, la santé, la fierté, le cinéma, le projet social. Ainsi le réel, ce fameux, finit par se confondre avec une petite chose chiffrée qui s'adresse juste à la raison, à la logique, qui se tient propre et qui oublie le reste. Elle est là, mon insatisfaction: dans l'acte de foi qu'on nous demande de poser en laissant pour compte toutes nos autres parties pourtant partantes à mordre dans la beauté, l'amitié, l'espoir. C'est pour ça que je me suis mis à faire des contes: pour me redonner de la pogne colorée sur le réel.»

Fred n'aime pas la réalité, mais il aime le monde: son monde immédiat à Saint-Élie, son frère, sa mère Joanne Pinard, son père décédé exactement 26 jours après avoir pris sa retraite, ses voisins descendants des Toussaint Brodeur, d'Esimésac et de la belle Lurette. Fred aime aussi le Québec, mais il y a une chose qui l'énarve comme il dit si bien: «Le flou sémantique entourant la québécitude. Souvent je me demande quessé on fait ensemble. Je ne le trouve pas et ça me met en ostie. Nous, ça veut dire quoi? Je ne parle pas du nous intellectualisé de Jean-François Lisée. Je parle d'un nous où il y aurait des valeurs, des idées, des affaires que personne n'aurait le droit de toucher sous peine que le monde descende dehors dans la rue. C'est quoi cette affaire-là qui nous rassemblerait tous? Ça me déchire de ne pas le savoir!»

À Saint-Élie, le soir de la première d'Esimésac dans l'église du village, la question ne se posait pas. Les 450 Caxtoniens savaient bien ce qui les rassemblait sur les bancs en bois dur alors que la vie de leur village où le train de s'est jamais arrêté, défilait à l'écran.

Le lendemain, Fred a fait ses valises pour la France. Avant de le quitter, j'ai voulu savoir pourquoi il revenait toujours à Saint-Élie. Par choix? Par devoir? Par peur du changement? «J'ai pas choisi, m'a-t-il répondu plus tard dans un courriel. C'était là. Ça y est toujours. Il y a au village tout ce qu'il me faut. Ce qui nous manque, on se l'invente bien. Il n'y a pas de questions de peur. J'ai appris à voyager. Le Caxton est un point de départ et un point de retour. Entre les deux, il y a le monde.»

Sacré Fred, s'il n'existait pas, faudrait l'inventer.

2) Les filles d'Unité 9 : des actrices au sommet de leur art

Chantal Guy

Le formidable travail de groupe des comédiennes d'Unité 9 a fait l'unanimité tant auprès de la critique que du grand public. Chacune d'entre elles a réussi à nous toucher à sa manière.

Guylaine Tremblay, Suzanne Clément (dont on souligne d'ailleurs le prix d'interprétation à Cannes cette année pour Laurence Anyways), Céline Bonnier, Micheline Lanctôt, Sarah-Jeanne Labrosse, Ève Landry, Catherine Proulx-Lemay, Salomé Corbo, Mariloup Wolfe, Édith Cochrane, Danielle Lorrain, Debbie Lynch-White, Émilie Bibeau, et Frédérique Dufort ont toutes reçu le cadeau d'un scénario en béton écrit par Danielle Trottier.

«Mais nos gars aussi sont formidables!», note Guylaine Tremblay, soucieuse que personne ne soit oublié dans le succès de cette série regardée par plus de 1,3 million de téléspectateurs. N'empêche, c'est le milieu carcéral féminin qui est judicieusement dépeint dans Unité 9 et la série nous offre à la fois un suspense de qualité et un portrait instructif de la réalité des détenues. «Danielle Trottier voulait montrer que le milieu carcéral féminin est très différent du milieu carcéral masculin, et c'est l'une des choses qui m'ont le plus touchées dans cette série. Beaucoup de femmes utilisent leur temps d'incarcération comme un moment de transformation intérieure. Le degré de dangerosité de plusieurs femmes est presque nul, et les taux de récidive sont très bas, donc on se demande aussi si la prison est la meilleure solution pour elles.»

Dans cet univers féminin, on se rend compte aussi à quel point les femmes sont souvent le centre de la famille, et que l'incarcération représente un choc immense pour l'entourage. «Les femmes, quand elles sont «en dedans», souffrent d'une culpabilité énorme à l'idée d'abandonner leurs enfants, leur conjoint, leurs parents, leurs proches, note Guylaine Tremblay. Et si elles ne sont pas mères, elles sont les enfants de quelqu'un. Elles ne peuvent s'enlever ça de la tête.»

Le rôle de Marie Lamontagne, citoyenne exemplaire, mère de famille, et, nous l'avons appris au fil de la série, pas la meurtrière qu'on pense, en plus d'être interprétée par l'une des comédiennes préférées des Québécois, représente le point de vue du spectateur, en quelque sorte. «L'auteur voulait vraiment ça, que les gens entrent en prison en même temps que mon personnage, parce que Marie, c'est vous, votre mère, votre soeur, votre amie.»

Guylaine Tremblay est ravie de l'engouement suscité par Unité 9, qui s'est produit à une vitesse incroyable, selon elle. «Je pense que les gens avaient envie que le mur cède face à un monde qu'ils ne connaissaient pas. Ils avaient soif de cette authenticité. Même notre look, ça leur fait du bien de voir cette vérité-là!» Ravie aussi de ce plateau de filles, même si elle en a l'habitude, ayant participé au spectacle des Belles-soeurs. «C'est toujours un grand bonheur.»

Les filles terminent ces jours-ci le tournage de la première saison et c'est maintenant confirmé, on en tournera une deuxième. Mais impossible d'en savoir plus sur ce qui s'en vient. «Je ne peux rien dire d'autre que Danielle Trottier est très inspirée et que les gens ne seront pas déçus!»

Photo: fournie par Radio-Canada

Les filles d'Unité 9

3) Moment Factory : le Super Bowl comme tremplin

Alain De Repentigny

Moment Factory n'aurait pu entreprendre 2012 sur une note plus spectaculaire. Le 5 février, à la demande du Cirque du Soleil, la boîte multimédia du Mile End a illustré de ses projections le spectacle de la mi-temps du Super Bowl mettant en vedette Madonna. Le lendemain, à New York, elle habillait un spectacle de Jay-Z au Carnegie Hall, au moment où était inaugurée à Montréal la Vitrine culturelle du Quartier des spectacles et sa sculpture numérique signée Moment Factory.

Par la suite, Moment a créé un jeu interactif le mur musical pour l'hôpital Sainte-Justine, décoré d'un jeu de lumière et d'images animées 3D la façade du Boardwalk Hall d'Atlantic City, transformé par le mapping video la façade de la Sagrada Familia de Barcelone et illustré de ses projections le spectacle MDNA de Madonna qui a été vu au Centre Bell, sur les plaines d'Abraham et un peu partout dans le monde. Grosse année, en effet!

«Le Super Bowl a été un élément déclencheur, convient Sakchin Bessette, directeur de la création de Moment Factory. Souvent, quand les gens me demandaient ce qu'on faisait, j'avais de la difficulté à le leur expliquer. Aujourd'hui, je leur dis as-tu vu le Super Bowl?. Ça nous donne une crédibilité certaine: si t'as fait le Super Bowl, un projet extrêmement difficile à réaliser à cause des contraintes de temps et d'espace, tu peux faire plein de choses.»

Madonna a aussitôt retenu les services de Moment Factory pour sa tournée mondiale et la boîte montréalaise a disposé de quatre petits mois pour préparer les concepts, concevoir le design et produire le contenu multimédia de 12 chansons. Ces scénarios d'animation ont nécessité des tournages en Inde, à New York et à Montréal. «Travailler avec Madonna, c'est une belle carte de visite: elle au top de l'industrie et tout le monde la respecte», renchérit Bessette.

Moment Factory, qui fêtera ses 12 ans en 2013, est dirigée par Bessette, Dominic Audet et Éric Fournier, un ancien du Cirque du Soleil qui s'est associé aux deux fondateurs en 2008. D'abord une galerie d'art vidéo en ligne, elle est devenue une fabrique de «moments» mis en scène ou captés sur le vif. Elle compte désormais une centaine d'employés et emploie autant de pigistes issus de différentes disciplines: architectes, programmeurs-analystes, photographes, éclairagistes, designers industriels...

Moment s'est fait connaître dans l'univers du rock planétaire en collaborant à la tournée de Nine Inch Nails en 2008. Trois ans plus tard, elle créait des projections pour le nouveau spectacle de Céline Dion à Las Vegas puis préparait des coups de théâtre pour Arcade Fire et A-Trak au festival Coachella. L'aventure s'est poursuivie cette année avec Jay-Z, Usher, les Black Keys et Rush mais ces réalisations sont indissociables des autres projets auxquels se consacre Moment sur les places publiques ou dans les musées.

«On parle beaucoup de tournées et des spectacles, mais pour nous la Sagrada Familia, c'est un grand succès, souligne Bessette. C'est une icône de l'architecture au même titre que peut l'être le Super Bowl dans le sport.»

Les projets, permanents ou ponctuels, ne manquent pas pour 2013. Dont celui baptisé Mégaphone, une installation urbaine semi-permanente interactive dans le Quartier des spectacles, créée en partenariat avec l'ONF et qui doit être inaugurée en septembre prochain. Il est également question d'un projet d'illumination urbaine de Lower Manhattan, aux abords du fleuve Hudson.

«Notre mission c'est de travailler dans des espaces publics pour inciter les gens à sortir et se regrouper dans un lieu physique, explique Sakchin Bessette. Avec les écrans modernes, Facebook et les cellulaires, ta vie sociale est dans ton salon. Tu n'as presque plus besoin de sortir, mais ça ne fait pas des êtres humains très connectés physiquement. Donc on utilise le divertissement et toutes les technologies pour concurrencer le divertissement personnel.»

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Photo: Robert Skinner, archives La Presse

Moment Factory