Inauguré il y a un peu plus d'un an, le musée construit par le milliardaire mexicain Carlos Slim pour abriter une partie de sa collection privée a accueilli cette semaine son millionième visiteur. Et s'apprête à lancer, dans quelques jours, une application qui servira d'audioguide. De passage à Mexico, La Presse a fait une visite des lieux.

Mexico Situé au coeur du Polanco, ancien quartier industriel de la capitale mexicaine, le musée Soumaya se distingue, par sa forme, de tous les édifices qui l'entourent, dont un Costco surdimensionné juste à côté. Cet immense cube tordu en son centre, recouvert de 16 000 hexagones en aluminium, est un véritable ovni architectural planté dans un paysage de tours classiques. Le musée abrite sur ses six étages environ 10% de la collection privée de Carlos Slim, magnat des télécommunications. Un total d'environ 6000 pièces - sculptures, peintures, murailles, artefacts, pièces de monnaie, documents - sur plus de 60 000 oeuvres, datées du VXe au XXe siècle.

Avec une fortune estimée à près de 54 milliards - le magazine Forbes le considère le plus riche du monde -, l'homme d'affaires d'origine libanaise a quand même eu la bonté d'ouvrir les portes de son musée gratuitement. Sept jours sur sept. «Pour toujours, avait-il dit lors de l'ouverture. Afin de le rendre accessible à tous les Mexicains.» Notamment à ceux qui n'ont pas les moyens de voyager. Une façon de leur donner accès aux joyaux de l'art européen.

Baptisé du nom de sa défunte épouse, morte en 1999, le musée Soumaya (qui se traduit par paradis en arabe) regroupe des oeuvres d'artistes mexicains, comme les muralistes Diego Rivera, Rufino Tamayo ou David Alfaro Siqueiros, mais aussi celles des grands maîtres européens, à commencer par Auguste Rodin, dont les sculptures (incluant deux formats du Baiser) occupent une bonne partie du sixième étage, dominées par Les trois ombres (inspirée de la Divine comédie, de Dante). À leurs côtés, on retrouve plusieurs pièces de son maître Jean-Baptiste Carpeaux, et aussi de son élève et amoureuse, Camille Claudel.

Une douzaine de sculptures de Dalí (Alice au pays des merveilles, L'éléphant spatial, Le profil du temps, etc.) font également partie de cette impressionnante collection disposée à la manière des grands Salons du XIXe siècle. Certainement l'étage le plus épatant du musée. En ce qui concerne Rodin, dont la femme de Carlos Slim était apparemment une inconditionnelle, il s'agit de la plus importante collection de ses oeuvres hors de la France. D'ailleurs, une des copies originales du Penseur occupe seule la vaste entrée principale, déposée sur un plancher de marbre blanc, accentuant la solitude de ce personnage torturé (et tortillé) du sculpteur.

Ce n'est pas tout. La collection de Carlos Slim comprend aussi de nombreux tableaux de peintres impressionnistes: Renoir, Cézanne, Van Gogh, Monet, Manet, tous regroupés sur un même étage. En descendant les six étages, un parcours en spirale inspiré de celui du Guggenheim de New York, on s'arrête sur un étage consacré à l'identité mexicaine, où l'on retrouve de nombreux peintres espagnols et mexicains, dont le célèbre paysagiste José Maria Velasco. Un autre étage est dédié à l'art religieux et baroque; et un dernier (le seul) réservé aux expos temporaires. Actuellement occupé par Gerardo Murillo (un des maîtres de Diego Rivera), Miro, Roberto Matta, Fernando Botero, etc.

Mais où se trouve donc le reste de la collection de Carlos Slim? On nous glisse à l'oreille qu'il y a six autres étages vers le bas, où sont entreposées un bon nombre d'oeuvres. D'autres sont exposées dans le premier musée Soumaya (toujours ouvert), construit en 1993 dans le quartier Loreto. Enfin, plusieurs autres se trouvent dans d'autres musées, du Mexique et d'ailleurs. On nous dit enfin que l'homme âgé de 71 ans vient faire un tour au musée, au moins deux fois par semaine. «Il est très fier de ce musée.»

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Hommage à Rodin

Fernando Romero, gendre de Carlos Slim et architecte du Museo Soumaya, aurait trouvé son inspiration en faisant un parallèle avec les sculptures de Rodin, dont les membres des personnages sont souvent torsadés ou en tension. Les hexagones qu'on retrouve notamment sur les ballons de soccer, et qui évoquent une ruche d'abeille, représentent le travail d'équipe, une façon de rendre hommage aux 4000 personnes qui ont travaillé pendant quatre ans à la construction du musée. Quant à la couleur argentée, elle serait un rappel du passé industriel de quartier Polanco. Un énorme puits de lumière éclaire l'intérieur du musée. Seize mois après son inauguration, le musée de Carlos Slim, qui fait partie d'un projet immobilier encore plus vaste destiné à redynamiser le secteur est certainement une fantaisie de milliardaire. Mais cette fois, il s'agit d'un projet artistique dont tout le monde peut profiter.