Le théâtre Bolchoï de Moscou a connu un scandale sans précédent mercredi soir avec le premier spectacle présenté sur sa scène rénovée, une version moderne de l'opéra du XIXe siècle Rouslan et Ludmila, huée par une partie du public mais saluée par des critiques pour sa qualité musicale.

L'opéra du père de la musique russe Glinka, d'après un poème de Pouchkine, mis en scène par le novateur Dmitri Tcherniakov, a démarré dans un décor traditionnel frisant le kitsch.

Ludmila porte un kokochnik, coiffe traditionnelle de femmes russes, les habits des invités en brocart brillent de toutes les couleurs et la cérémonie se déroule dans une salle bleu vif décorée de khokhloma (peinture expressive russe en or, rouge et noire).

L'action s'est rapidement déplacée dans l'époque actuelle, exposant à des tentations bien modernes les protagonistes séparés par des sorciers perfides: un «harem» avec des beautés en tenues légères roulant sur des patins pour Rouslan, un massage thaï et un athlète tatoué séducteur pour Ludmila.

Pendant le changement de décor, de gros plans de deux autres héros âgés sont projetés sur l'écran noir servant de rideau, une technique inédite pour le Bolchoï qui n'a pas été du goût de tout le monde.

Plusieurs spectateurs ont sifflé et crié «Honte!», un comportement répandu dans les théâtres d'autres pays mais jamais vu au Bolchoï.

«Je ne comprends plus où je me trouve», s'est insurgée une dame. «C'est un spectacle de variété», a renchéri une autre.

Certains ont timidement scandé «Bravo!».

Le metteur en scène Dmitri Tcherniakov a pourtant assuré lundi pendant la répétition générale qu'il n'avait pas pour but de «faire scandale» avec cette première très attendue après la réouverture du théâtre fermé pendant six ans pour des travaux gigantesques.

«Rouslan et Ludmila», une oeuvre «somptueuse, volumineuse, colorée et compliquée» est «la production la plus importante de ma vie», a-t-il confié à la presse, tout en se disant «prêt aux attaques» d'amateurs plus conservateurs.

«Le sujet est tout à fait moderne, l'intensité des émotions sera comme dans la vie réelle», a-t-il souligné.

Pour Mikhaïl Petrenko, du théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg, qui chante Rouslan, le conte se transforme sur la scène du Bolchoï en «un drame déchirant», une interprétation radicalement différente de celle de son théâtre où l'opéra est présenté depuis 100 ans dans une version accessible aux enfants.

«Je n'ai jamais interprété une telle Ludmila. Vous verrez une coquette exaltée, mais avec un caractère très russe», avait promis la chanteuse Albina Chaguimouratova.

Les critiques interrogés par l'AFP après le spectacle ont salué le niveau musical de la production.

«L'orchestre mené par Vladimir Iourovski et le choeur sont excellents ainsi que les chanteurs», a souligné Piotr Pospelov.

«Quant à la mise en scène, c'est un coup d'épée dans l'eau», dans la mesure où elle va à l'encontre du caractère épique de l'opéra», a-t-il ajouté.

Selon le critique du journal Kommersant Sergueï Khodnev, «le pari du Bolchoï était risqué, mais le spectacle est un grand succès».

Le théâtre critiqué dans le passé pour ses mises en scène figées «envoie ainsi le message qu'il ne va pas être coincé dans la tradition», souligne-t-il.

«C'est aussi très intéressant du point de vue musical et très différent des interprétations soviétiques. Avec Iourovski, tout est devenu plus léger et plus nerveux. Ce sera plus compréhensible pour les Européens», a-t-il estimé.

Tous les billets pour ce spectacle, première production sur la scène historique qui sera jouée jusqu'au 10 novembre, ont été vendus directement aux guichets du Bolchoï.

On ne trouve de billets qu'à des prix exorbitants, allant jusqu'à 25 000 roubles (600 euros), dans des agences spécialisées sur l'internet ou via des particuliers aux abords du théâtre, selon la presse.