Paco de Lucia, maître guitariste, réformateur moderniste du flamenco, collaborateur d'as guitaristes tels John McLaughlin, Larry Corryell ou Al Di Meola, revient à bord d'un véhicule rutilant. Le virtuose espagnol nous propose cette fois un ensemble très spécial, y introduisant l'harmonica chromatique.

Vous nous avez rendu visite en janvier 2007. Or, depuis la parution de l'album Cositas Buenas en 2004, aucun album studio n'a été enregistré. Pourquoi cette accalmie?

D'accord, vous pourriez dire que je suis paresseux. Et c'est un petit peu vrai. J'ai maintenant la liberté de faire des albums lorsque je le désire vraiment. Toutefois, je peux vous dire que nous avons enregistré la musique de la plus récente tournée et mon fils Curro nous a accompagnés avec une équipe de tournage. Un making of de cette nouvelle tournée sera bientôt rendu public.

L'instrumentation de l'ensemble qui s'amène à Montréal révèle un renouveau dans votre manière de présenter le flamenco. Pourriez-vous décrire le processus récent de votre vie musicale?

À 63 ans, je pense être un tout petit peu trop vieux pour une nouvelle révolution! Je suis, j'ai été et je serai toujours un guitariste flamenco. Ainsi, je me sens libre de savourer ce que j'ai accompli dans le passé. Peut-être y verra-t-on la conclusion de mon développement musical. Cependant, les musiciens avec qui je joue sont très jeunes et insufflent un nouvel esprit à mon travail. En retour, je partage mon expérience avec eux. Il est très inspirant de jouer avec ces jeunes musiciens. Ils ont tous pu bénéficier d'une très bonne éducation, ce qui m'oblige à répéter beaucoup pour garder le niveau! Cela dit, l'inspiration d'un groupe relève des relations humaines qui s'y tissent. Je me sens très à l'aise à leurs côtés.

Présentez-nous vos jeunes collègues.

Antonio Serrano joue de l'harmonica, un instrument qu'on n'entend pas dans le flamenco traditionnel, mais qui lui procure une couleur superbe. Le bassiste Alain Perez est un très bon musicien et compositeur; il a une connaissance profonde de tous les rythmes latins. Le guitariste Antonio Sanchez Palomo, mon neveu, est le petit nouveau dans le groupe. À 26 ans, il s'avère un excellent improvisateur. Le percussionniste «El Pirana» Israël Suarez Escobar est explosif, c'est une étoile filante! Le danseur (et spécialiste du baile) «Farru» Antonio Fernandez Montoya est un jeune homme issu d'une famille de danseurs; ses mouvements et rythmes staccato mènent l'auditoire ailleurs. «Duquende» Juan Rafael Cortes est l'un des chanteurs flamencos les plus acclamés d'Espagne, on le considère comme le nouveau El Camaron de la Isla. David de Jacoba est le second chanteur du groupe. L'expression dramatique de ces deux voix nous propulse dans une autre dimension.

On peut encore le lire sur votre site internet, vous avez souvent considéré feu le chanteur El Camaron de la Isla comme le plus grand génie de la musique avec qui vous avez cheminé. Même plusieurs années après sa disparition, voyez-vous toujours les choses ainsi?

Il était unique, brillant, tragique. Pour moi, il demeure le plus grand.

Votre flamenco est enraciné dans la tradition, mais il est aussi moderne. Votre approche harmonique et vos lignes mélodiques ne sont pas traditionnelles, vous n'avez cessé de proposer des réformes au fil des décennies en y incluant, entre autres, des éléments de jazz. Quelles seraient, selon vous, les prochaines étapes pour le nuevo flamenco?

Vous savez, je n'aime pas qu'on qualifie ma musique de nuevo flamenco; cette étiquette renvoie désormais à une musique pop édulcorée avec enrobage flamenco. Bien sûr, chaque génération de musiciens flamencos a le droit d'interpréter et de changer la tradition. Vous savez que je ne suis pas puriste en ce sens. Mais si on perd son authenticité, ça peut devenir étrange.

Vous êtes encore un artiste curieux, alors qu'une part importante de votre auditoire préfère écouter votre musique d'autrefois. Comment équilibrer votre proposition artistique?

R Je sais que le programme d'un concert doit toujours comprendre des pièces que les gens aiment depuis longtemps. Cela dit, je m'efforce de renouveler la donne et même de surprendre mon groupe en lui posant de nouveaux défis. Un musicien ne doit jamais se tourner vers l'arrière et jouer la même chose que la veille.

Observez-vous des changements dans votre manière d'aborder la musique?

J'ai toujours cherché à vivre de nouvelles expériences à travers lesquelles je pouvais m'exprimer. Et je vois dans ce flamenco une forme musicale qui a acquis beaucoup de respect dans le monde entier. Ça n'a plus rien à voir avec l'époque où cette musique était celle des perdants de mon pays, des couches inférieures de la société. Le flamenco n'était pas diffusé à la radio ou la télévision ni dans les salles de concert. Je suis très fier que ma musique soit acceptée partout.

Aimez-vous encore la tournée?

Oui, mais d'une manière différente. Je ne fais plus six concerts par semaine, je prends le temps de m'absorber des lieux et des pays où je tourne. Pour cette tournée, par exemple, ma famille m'accompagne et nous avons pris le temps de découvrir la beauté des villes où nous jouons.

Passez-vous le plus clair de votre temps dans votre pays lorsque vous ne tournez pas?

Oui, j'ai élu domicile à Majorque, et j'en suis très heureux. Pour la première fois, après avoir voyagé toute ma vie, j'ai le sentiment d'être à la maison.

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Paco de Lucia, salle Wilfrid-Pelletier, ce soir à 19h.