Ça fait maintenant plusieurs années que je couvre la télévision, un domaine captivant qui, malheureusement, attire encore son lot de railleries et de commentaires snobs du genre: la télé rend stupide, elle nivelle par le bas, c'est un art mineur, insignifiant, abrutissant, bla, bla, bla.

En entendant hier le philosophe et éthicien Daniel Weinstock, de l'Université de Montréal, comparer The Sopranos et The Wire à du Proust, du Dickens et même à L'Odyssée d'Homère, j'ai poussé un long soupir de soulagement. Enfin, quelqu'un (et un intellectuel respecté en plus) reconnaît à la télévision - la bonne télé, on s'entend - toutes les qualités qu'elle mérite. C'est génial. Et très juste, aussi.

«L'intégrale de The Sopranos ou The Wire en DVD, on peut regarder ces séries-là comme des oeuvres complètes, comme de grandes fresques sociales. C'est un peu l'équivalent de Proust ou de Dickens», dit le professeur Daniel Weinstock, grand consommateur de télévision américaine.

Réunis dans l'auditorium de la Grande Bibliothèque hier midi, Daniel Weinstock et son collègue le médecin Marc Zaffran, qui pond également des romans sous le pseudonyme de Martin Winckler, ont prononcé une conférence fascinante intitulée «Les richesses cachées des séries télé».

Selon Marc Zaffran, une série du réseau HBO comme Oz, qui catapulte le téléspectateur dans des prisons violentes, sales et corrompues, «a été conçue comme une tragédie grecque». Rien de moins.

Évidemment, dans les hautes sphères universitaires, «comme philosophe et amateur de télé, on se sent plutôt seul. La télé, c'est l'art mal aimé. Bon nombre de mes collègues méprisent la télévision», note Daniel Weinstock.

Reste que certaines grandes séries américaines, comme Law & Order, servent parfois d'instrument de pédagogie. Si, si, vous avez bien lu. Dans un court extrait de trois minutes de Law & Order que les deux profs ont projeté hier dans la grande salle, les personnages ont tâté des sujets touffus comme les lois constitutionnelles, la guerre contre le terrorisme et la torture, exposant ainsi le téléspectateur à des enjeux complexes et les confrontant à d'épineuses questions d'éthique. «L'avocat doit-il, par exemple, s'en tenir à la lettre au texte de la loi ou doit-il plutôt en saisir l'esprit général?» demande Weinstock, lui-même directeur du Centre de recherche en éthique de l'Université de Montréal (CREUM).

Daniel Weinstock poursuit: «Combien de choses se sont passées dans un épisode complet de Law & Order, combien de détours l'intrigue a-t-elle pris en 45 minutes? C'est un tour de force.»

Emballé, Marc Zaffran avance que «les scénaristes de la télé sont très conscients des problèmes sociaux. La télé a pris le relais de toute la critique sociale qui se faisait avant au cinéma».

Autre sujet de discussion hyper intéressant: la morale dans les fictions. Prenons Breaking Bad, où un prof de chimie au secondaire, atteint d'un cancer incurable, se jette dans la production de crystal meth pour assurer un avenir confortable à sa famille. Voilà un personnage droit, très moral, qui emploie des moyens discutables moralement pour survivre, en quelque sorte. Même chose pour Weeds, où une mère de famille nouvellement veuve entraîne ses deux garçons dans le commerce de la marijuana. Autre personnage très droit qui assouplit son code moral pour s'en sortir. «Oui, la télé nous permet de réfléchir à des problèmes éthiques», observe Daniel Weinstock.

En tant que médecin, Marc Zaffran a bien sûr braqué sa loupe sur la série House. «House, c'est Sherlock Holmes. Il est aux antipodes de l'image du médecin. Il est parfaitement détestable et fait tout à l'envers de ce qu'on attend d'un médecin.»

MM. Zaffran et Weinstock se réjouissent de toute la lassitude dont disposent les créateurs américains pour concocter des séries de qualité supérieure comme The Wire, The Shield, The Sopranos, Breaking Bad, Weeds ou The Practice. «La fiction à la télévision française est la plus inexistante qui existe. C'est à peu près l'équivalent de la peinture soviétique des années 30. En France, on ne peut pas prononcer le nom du président dans une émission de fiction», constate Marc Zaffran, qui a quitté la France pour s'installer au Québec en février dernier.

Méchant mardi

La popularité d'Occupation double 6 ne se dément pas: 1 494 000 téléspectateurs ont dévoré le chapitre de mardi des aventures exotiques de nos célibataires bronzés. À 20h, le téléroman Providence (1 052 000) a couché au tapis les comédies de TVA Caméra café (760 000) et Taxi 0-22 (689 000). À 21h, La promesse de TVA 872 000 a éclipsé Aveux de Radio-Canada (666 000).