Être discrète et si présente, c'est un art que maîtrise la romancière et dramaturge Marie N'Diaye qui, l'air de rien, s'est arraché l'apostrophe du nom de famille pour le simplifier, le rendre compact. Avant même le Goncourt d'hier, sa place, dans la littérature française, elle l'a prise depuis Un temps de saison (chez Minuit en 1994). Là, avec Trois femmes puissantes, au neuvième roman, elle a ses aficionados.

Africaine de père, Française de mère, cette femme de 42 ans est née au pays des gâteaux à la frangipane (les pithiviers) et des pâtés d'alouette. Pithiviers, ses églises, ses faïences, son musée des transports... Dès ses premiers livres, on a senti une particularité ensorcelante qui émanait de sa plume, mélange de technique narrative complexe et de manière magique de raconter comme si, ambitieuse, elle entendait rallier l'analyse proustienne à la tradition du conte oral. Richesse combinée de ses deux cultures parentales, entre le Sénégal du père et le Loiret de la mère.

On la voit rarement dans les médias, mais elle écrit, elle écrit, et jusqu'ici elle était la championne féminine de la description des vies minuscules dans la province française, ménages et tapages, dureté des pères, mocheté des destins, déliquescence des familles brisées. En famille, paru chez Minuit en 1991, avait frappé juste, Un temps de saison, toujours chez Lindon, avait frappé fort. Elle était la Noire de Minuit. La voilà chez Gallimard, et voilà que ce roman en trois volets, trois portraits de femmes, lui est l'occasion de déplacer ses histoires, et son regard, en Afrique, dans des pays indéfinis écartelés entre colonialisme agonisant et africanisme un peu égaré.

Trois femmes puissantes? Trois femmes solides, je dirais. Norah. Fanta. Khady Demba. L'une abandonnée par son père parti faire fortune en fondant un village de vacances mais qui, surtout, lui vola un frère en l'emmenant avec lui. L'une battue par un mari fainéant. L'une expulsée par sa belle-famille quand son jeune mari est mort.

Trois femmes en un triptyque de la douleur, trois destins de femmes que la plume de Marie Ndiaye sait sculpter avec cran, avec lucidité, avec souveraineté: car ces trois femmes sont puissantes de leur misère, de leur endurance, et malgré tout de leur dignité. Fortes de leur faiblesse.

Trois femmes puissantes

Marie Ndiaye

Gallimard, 317 pages, 35,95$

*** 1/2